21. La manipulation. 

 

Le Maître et le cuisinier méditaient dans le temple entre les cuisses du Bouddha assis… Les mots du jeune Blanc résonnaient en eux. Leurs oreilles continuaient à saisir les sons, comme s’ils continuaient à être émis… C’étaient des sons sans fin… De ceux qui poursuivent toujours car ils ont touché une fibre profonde de l’être.

 

Hiro en était perturbé. Il avait aussi encore dans son corps la vibration et le sens de la Joie profonde lorsque ses mains crochetaient la cheville du jeune Blanc suspendu dans le vide avec le cri de la rivière au-dessous qui demandait sa nourriture.

Il savait en son corps que tout cela n’était pas ordinaire. Qu’un autre mouvement de vie était derrière, existait au-delà des apparences… Il savait tout cela par son corps mais son esprit ne suivait plus et il avait peur.

Il ne comprenait plus les mouvements de son Maître. Il ne captait plus les vibrations de son corps. Il ne les reconnaissait pas. Elles ne lui étaient pas connues... Il se sentait perdu, comme lorsque la boussole fait défaut dans le brouillard du plateau et que le vent griffe les oreilles qui n’entendent plus rien.

Il ne se trouvait plus en sécurité dans le monastère. Ce lieu changeait et il ne savait pas pourquoi. Il sentait la terre, l’assise même de ce lieu se dérober sous ses pieds.

Alors il s’inquiétait, pour tout, pour tous. Ses colères devenaient fréquentes et les moines avaient peur de croiser son regard.

 

-Tout change ici depuis l’arrivée de ce Blanc! dit-il soudain.

 

Le Maître le regarda. Il suivait les traces des mots de Ange sur les rides de son vieil ami. Il le savait interrogateur… Il avait besoin de savoir « tout » pour être en paix.

C’est vrai que tout a changé dans ce monastère depuis son arrivée. Sa seule présence est une radiation, ses mots sont des boulets de canon, ses yeux des lumières qui éclairent le tréfonds de la conscience… enfin tout dérange, interroge.

 

- Je sais que les moines ont peur… comme toi mon ami.

- Ils ne savent plus ce qui se passe ici… comme moi, avoue Hiro.

- Alors, que veux-tu savoir pour reposer ton âme ? invita doucement le Maître.

 

Hiro se concentra. Le pli se fit entre ses yeux. Il cherchait au fond de lui ce qui le provoquait le plus.

 

- Pourquoi n’avez-vous rien dit à ce jeune coq, lorsqu’il vous a si mal traité sur la véranda de son pavillon ?... Pourquoi avez-vous laissé son arrogance se déployer ?... demanda le moine furieux en éructant les mots les uns après les autres comme s’il fallait les lui arracher de ses entrailles.

 

Le vieillard sourit.

 

- Pour l’obliger à rester.

- Je ne comprends pas, avoua Hiro, brutal, sans un seul silence entre le mot reçu et celui qu’il prononce.

 

Le Maître prit son temps pour chercher la porte d’entrée dans le cerveau bloqué de son ami.

 

- Je t’ai déjà dit qu’il avait pris appui sur sa “fureur” pour recouvrer ses forces dans son corps.

- Je ne vois pas la relation… avoue Hiro.

- Le corps est Bam!... tu ne comprends pas ?

- Non…

- Je dois obliger son corps à rester avec nous… Alors je le pousse dans sa fureur… et il restera avec nous.

- Mais pourquoi ?... Qu’a-t-il à nous apporter ce jeune coq en dehors de constants emmerdements!

- Mais nous apprendre comment fonctionne précisément la connexion entre notre univers et le sien, dit le Maître.

- Il nous enseignera !... suffoqua le Maître cuisinier.

- Pas seulement nous enseigner… Il nous donnera sa Force.

 

Le moine resta un moment à la recherche de la résonance des mots dans son cerveau.

 

- Là, je suis déconnecté, dit-il… Mais la Force de ce monastère, c’est “Vous”!

- Non, c’est “Lui”. Nous avons besoin de sa Force pour survivre ici… dans cet univers.

- Je ne sais plus rien de ce que vous dites!

 

Alors le vieillard entra en lui… Ses mots devaient être très précis car ils touchaient une essence malsaine de cette Dimension dans laquelle les corps des Hommes évoluent.

Puis il dit doucement, comme on énonce une vérité dans le secret du silence car il ne faut pas déranger le monde.

 

- Cet univers est un mensonge… C’est un voleur, continua le Maître, lentement, comme on parlerait à un enfant un peu retardé...

…Cet univers a changé la destination de son activité, mais il fait croire qu’il continue à servir la Création originelle... Cette activité est maintenant centrée sur elle-même… Elle prend, elle utilise, elle manipule… Elle mange la Force de vie pour elle-même… Elle ne joue plus le jeu de cette Force de la Création… Elle a quitté l’Ordre de l’Univers au-delà de cet univers…

 

Les mots du Maître commençaient à résonner dans le corps du Maître cuisinier. Il se détendit. Il avait confiance en l’intelligence de son corps.

 

- Vous voulez dire que nous mentons à chacune de nos respirations ?

 

Le Maître se recueillit quelques instants. Il fixait la lampe à huile entre les pieds du Bouddha.

 

- Oui, on pourrait le dire ainsi… Tu vois, cet univers est très petit dans le jeu cosmique global… Mais par la force du mensonge il fait croire qu’il est Tout… Qu’en dehors de « lui », rien n’existe… Et que la vie spirituelle est d’aller toujours plus profond dans sa connaissance pour trouver sa liberté.

 

- Là, je suis encore déconnecté, avoua Hiro.

 

Le vieillard sourit au visage tendu devant lui. Son vieil ami produisait un effort qu’il ne connaissait pas. Lui, il fonçait la lame au clair sur les chars!... Il ne connaissait pas cette Dimension où tout devient relatif… Là où l’absolu se colore de l’imbécilité et de l’ignorance du monde ordinaire.

Il reprit son souffle du plus profond des yeux du Bouddha devant lui.

 

- Alors je vais te le dire autrement… En toi il y a la cuisine et la chambre à coucher. La cuisine gère les problèmes de cet univers. La chambre à coucher apprend à faire couple avec cette Force de vie… Mais la cuisine avec la préparation de tous les repas émotionnels fait tellement de bruit et occupe tant la vie de la sensation, que l’on a oublié la chambre à coucher.

-Vous voulez dire que le travail dans la cuisine… que vous dites « émotions-sensations », masque le réel travail de libération ? demanda le moine qui entendait pour la première fois ces mots de la bouche du Maître.

 

Il fixait intensément le vieillard, la bouche ouverte comme avant de la remplir avec une cuillère de soupe. Il connaissait déjà les mots « émotions » et « sensations », mais il ne les connaissait pas dans cette articulation de la parole.

Le vieux suivait le cheminement de la pensée de son ami. Il poussa la vie encore plus loin dans le secret de son cœur pour le réveiller aussi dans la mémoire de ses cellules.

 

- Voilà, tu saisis!... Et ce jeune Blanc nous reproche d’être la cuisine et de ne pas montrer le chemin de la chambre à coucher.

- Je comprends maintenant… Mais quelle est la relation avec la présence de ce jeune Blanc ici maintenant ? demanda Hiro.

 

Le vieillard ferma les yeux. Hiro attendait encore des mots. C’est de l’eau qui coula des paupières jointes.

Puis il ouvrit les lèvres et des sons sortirent de sa bouche. Il ne lui semblait pas que ces mots étaient de lui. Ils émanaient d’un passé millénaire…

 

- C’est une longue histoire! dirent ces sons…

…Je dois l’obliger à rester ici avec nous… Nous avons besoin de cette Force pour manger… Sans elle nous sommes morts… Nous deviendrons secs, dit doucement le Maître… et il porte cette Force en son corps… Ou encore plus exactement, son corps vibre avec cette Force et le corps la rayonne.

 

Hiro le connaissait si bien. Il savait sa souffrance énorme à dire ces mots. Il s’en voulu de l’avoir obligé à les prononcer, pour lui, parce qu’il était inquiet et son vieux Maître avait encore pris soin de lui.

 

- Cet univers, ce Bam, cet « Amour Universel »… a besoin de nourriture. Il pousse les hommes à la fabriquer par leurs mouvements… et cela est normal car c’est le destin de l’homme de servir de nourriture… et sa grandeur.

 

Le vieillard ralentit ses mots… tout cela était douloureux pour lui. Il ne croyait pas un jour devoir entrer si profondément dans l’explication de cet univers. Parfois il avait dit « si vous saviez ce que je sais sur la Création, vous deviendriez fou! »... Alors ces connaissances restaient dans le secret de son cœur, et il les redonnait à l’univers pendant ses méditations nocturnes, lorsque chacun dormait… Dans ce calme, il sentait le Silence en lui et il pouvait lui donner ses souffrances.

 

- Tout cela est normal… naturel, dit-il lentement… Car Bam sert en même temps de nourriture à la Source de cet Univers… et la Source de cet Univers sert de nourriture à cette Force qui l’a obligée à créer son univers à partir d’Elle… comprends-tu ?

- Je suis vos mots, Maître…

 

Mais les mots ne suffisent pas pour suivre « cela » et le Maître devait encore trouver une autre porte d’entrée dans le cerveau de son ami.

 

- Tu vois,… le grand mensonge de cet univers, de ce Bam, c’est qu’il se nourrit pour lui-même… Il ne renvoie plus à la Force… Il consomme pour lui-même, comme un égoïste qui mange tout sans se préoccuper des autres.

- Il ne renvoie plus à la Source ? demanda Hiro.

 

Le Maître fut étonné de la question et regarda longuement le Maître cuisinier.

 

- La Source ?... Ah! tu ne sais pas ?.... Tu n’as encore rien perçu de cela dans tes méditations ?... Ah! alors ce jeune Blanc a peut-être raison: je ne suis qu’un vieux con inutile!

 

Hiro tendit la main vers le Maître. Il voulait la poser sur son bras. Il voulait lui enlever cette souffrance qu’il provoquait par ses questions bêtes. Mais le Maître retira sa manche. Il voulait rester seul avec ses mots, avec sa douleur.

 

- Mais, mon ami… Bam, cet « Amour Universel » n’est qu’un état transformé de la Source de cet Univers!… C’est comme le père qui fait un enfant pour ensuite l'envoyer travailler pour lui et le nourrir…

 

Le silence se fit entre ses mots et il reprit une respiration plus lente.

 

- Je peux te le dire autrement, mon ami… Cette masse d’énergie énorme qui est la Source de cet Univers est le créateur de Bam et Bam doit le nourrir… car ils sont une seule et même entité… sous des apparences séparées… Et les deux “apparences” séparées sont reliées par un “Souffle” qui transmet tout de la Source à Bam et de Bam à la Source…

 

Le vieillard se reposa, les mains jointes devant la poitrine. Hiro connaissait cet état du Maître et il ne fit aucun mouvement pour ne pas rompre la quiétude qui envahissait le corps.

 

- Voilà… peut-être tu comprends mieux, mon ami… lorsque je parle du mensonge primordial de Bam, qui retient tout pour lui… C’était l’une des possibilités contenues en la Source et qui est “maintenant” à l’œuvre…

- Alors tout est un mensonge ? s’insurgea Hiro.

- Oui, cet Univers, cet « Amour Universel » est un menteur et un voleur… Mais il a besoin de cette Force pour survivre. S’il reste en circuit fermé il va s’asphyxier…

- Il a besoin d'Elle pour survivre!

 

Hiro était suffoqué. Mais son corps comprenait la vérité des mots et un tremblement commença dans son ventre.

 

- Alors il faut que cet Univers mente à la Force primordiale… Qu'il lui fasse croire qu’il a besoin d'Elle pour progresser et se transformer en cet enfant qui saurait si bien travailler pour le père… si le père continuait à le porter, le protéger et augmenter son « capital »…

 

Hiro écoutait les yeux fermés, une ride profonde coupant les sourcils épais.

Le vieillard continua et les mots devinrent encore plus pénibles, plus lents, plus lourds.

 

- Mais en fait, c’est seulement pour La manger… pour se nourrir… pour se goinfrer!... sans aucune intention de devenir cet enfant parfait!

- Un tel mensonge!... mais comment cela est possible ?

 

Le Maître haussa les épaules... C’est si simple!... Jouer sur la générosité, l’impulsion naturelle au Don!

Alors il répéta, comme pour lui-même… comme si lui-même avait un doute dans sa propre compréhension.

 

- Lui faire croire qu’Il a besoin d’Elle pour grandir et retrouver le chemin de la maison… C’est de cette demande que se créent spontanément les “Grands Instructeurs” qui sont cette Force dans un corps… Mais le mensonge est que cet Univers, à travers l’activité de Bam, de l’Amour Universel, n’a aucune intention de retourner dans ce destin qui est de servir cette Force, d’être sa nourriture… Il veut tout garder pour lui et développer toujours un peu plus son jeu personnel qui n’a plus rien à voir avec l’Ordre de l’univers… De plus en plus… c’est cela le mensonge primordial de cet Univers à la Création.

 

Puis il se tut, peiné.

 

- C’est un abus, s’insurgea une fois encore le Maître cuisinier.

 

Le vieillard courba l’échine, comme fatigué de tant de mots…

 

- Oui, de plus en plus… Mais nous serions morts et secs si cette Lumière cessait de venir vers nous... et c’est pour cela que je dois obliger ce « fils » à rester avec nous. C’est un fils du Ciel… Il nous faut le “manger”.

- Merde!... lança Hiro avec la vigueur de son cheval fou.

- Oui, il nous faut le manger… le cuisiner… et avant tout, il faut le garder dans le garde-manger!... Alors pour le garder, je dois provoquer sa colère… Elle provient de la souffrance de cette Force qui se trouve bloquée en Bam, en cet Univers… bloquée dans le corps des hommes!!!!... car cette Force, nous l’avons dans chacune des cellules de notre corps.

- Alors il a dit la vérité dans le temple devant tous les moines!

- Oui… c’est la vérité lorsqu’il dit que nous avons cette connaissance dans chacune des cellules de notre corps… cette Intelligence est là…mais cela ne suffit pas. Il faut la Force en Elle-même, en activité dans un corps humain pour pouvoir La manger!... tu comprends cela mon vieil ami!

 

Le Maître criait dans le silence du temple. L’eau coulait des yeux ouverts, regardant droit le visage du Bouddha.

 

- Pour le devenir de l’homme, je dois provoquer sa souffrance pour que nous puissions nous nourrir de cette Force... Et lorsqu’il a émis sa radiation dans notre espace de vie, dans notre Bam, il est lié à nous… comme un fil invisible qui l’attache à nous… comprends-tu ?... Il y a une trace, un fil… parce qu'il s’est préoccupé de nous… parce qu’il ne nous a pas ignorés!

 

Le Maître pleurait.

 

- Oui, je dois tisser autour de lui une toile d’araignée pour l’immobiliser ici… pour que cette Force puisse rayonner sur nous et que nous puissions La manger… Sans cela nous sommes morts… C’est une simple question de temps dans le destin de cet univers des hommes.

- Merde!... ne put que dire Hiro une nouvelle fois.

- Oui, je dois l’enchaîner à nous… et le premier mouvement est de provoquer sa colère… car alors, il emploie des “mots” qui sont l’Intelligence de sa souffrance… Alors il “émet”… et ainsi se constitue la trame première de son immobilisation ici… avec nous.

- Par tous les kamis! éructa Hiro

 

Le Maître souleva la main… Il voulait dire quelque chose avec sa chair qui tremblait de souffrance.

 

- Et ensuite ses “mots” vont toucher le cœur et le cerveau de ceux qui sont ici… Ils ne comprendront pas ce qui se passe en eux… Alors ils vont aller lui demander, lui poser des questions… Je vais les pousser dans cette voie… Et il sera obligé d’y répondre car il sera lié à leurs questions… puisque ce sont ses mots qui ont provoqué l’interrogation… … Ainsi il sera de plus en plus enchainé à nous… et de mots en mots il constituera lui-même la toile d’araignée dans laquelle il sera immobilisé…

- Ainsi nous pourrons le manger à notre convenance... continua Hiro.

 

La Maître se tut… Puis il reprit doucement, comme pour ne pas déranger la vie en mouvement.

 

- Oui, à notre convenance!... car chacun mange à sa façon… Oui, chacun choisira s’il mangera cette Force de Vie pour Elle, pour l’aider à vivre sur la terre… Ou s’il la mangera pour lui, pour aller encore plus profond dans la connaissance de lui-même, de ses peurs, de ses envies… de ce que l’homme ordinaire appelle “spiritualité”.

 

Le vieux baissa la tête, le corps plein de la souffrance de sa connaissance.

 

- Alors, c’est l’enjeu dont il parlait! dit Hiro.

- Oui, l’enjeu sera cette question qu’il a posé: que voulez-vous vraiment de la vie ?... Oui, c’est la question essentielle…

 

Hiro resta coi… Il avait besoin de temps pour digérer les mots, le vide, la douleur qui étaient là, dans ce temple. La lampe à huile frémissait comme si de l’eau était avec elle dans la coupe.

Puis il posa la question:

 

- Mais “Vous”, Maître... Vous savez comment diriger ce mouvement!

 

Pour le Maître cuisinier, c’était une affirmation, pas une question… Juste des mots pour se rassurer.

 

- Et moi ?.... Qui va répondre ?... moi… ou MOI… Si c’est “moi”, je vais manger sa Force et l’utiliser à parfaire mon enseignement et ce que j’ai créé sur la terre… comme ce monastère par exemple… si c’est “MOI”, je ne créerai plus rien, mais mon corps créera pour moi car mon corps sera le serviteur de la Création.

 

Hiro resta suspendu aux lèvres du vieillard. Il était à la limite d’un précipice. Tout son corps le lui disait. Son attention devint extrême.

 

- Ah!... tu sourcilles, mon vieil ami… Tu ne comprends pas… Alors je vais te le dire autrement… Je ne sais pas vraiment ce que j’aime le plus: les hommes ou cette Force ?...

- Oh!

- Oui, il est clair que aider cette Force, c'est aider les hommes… Mais ensuite, lorsque l’homme aura montré son immense refus à la délivrance… que vais-je aider: l’homme ou cette Force ?... Car lorsque l’homme refuse sa délivrance il devient un danger pour cette Force dans cet Univers… Il devient un adversaire teigneux, menteur et violent contre cette Force… car cette Force a la capacité de le changer… et il ne veut pas changer et il inventera toutes les « bonnes raisons » pour détruire le porteur de la Force...

 

Le Maître cuisinier accentua encore la fente entre ses sourcils.

 

- Que voulez-vous dire, Maître ?

- Qu’il tentera par tous les moyens de détruire cette Force… Mais comme il ne le peut pas, car cette Force est sans origine, donc indestructible, il cherchera à détruire et faire disparaitre le corps de l’homme qui porte cette Force en lui… Alors la question est celle-ci: que vais-je défendre et préserver ?: l’homme qui attaque… ou l’homme qui est attaqué ?

- Mais c’est clair, s’insurgea Hiro!

- Non, ce n’est pas clair car c’est devant la mort que l’on témoigne de ce que l’on est vraiment: Qui aimerai-je le plus ?.... l’homme ou la Force ?...

 

Hiro était suffoqué de la réponse du Maître.

 

- Car je suis dans le Bam, mon corps est dans le Bam, mon corps est Bam… Je suis dans cet espace… et si je défends la Force qui pourrait changer Bam alors que Bam ne veut pas, tous les êtres de Bam seront contre moi et me condamneront… Toujours j’ai été soutenu par les Êtres de Bam qui ont fait ce que je suis… Aussi tant que je ne serai pas confronté à cette situation où Bam attaquera ce corps porteur de cette Force, je ne sais pas quelle sera mon impulsion de cœur…

- Terrible!.... dit Hiro

- Oui, c’est terrible!... Même moi je ne sais pas ce que sera mon réflexe devant la mort du corps porteur de la Force… Peut-être je préfèrerai les hommes et chercherai un compromis qui sera appelé “recherche spirituelle”… et je serai reconnu et valorisé pour cela… pour cet assassinat!

 

Le Maître se recueillit et doucement laissa ces mots couler dans le silence de la nuit.

 

- Alors pour l’instant… je ne sais pas pour moi… Mais je sais pour “tous” que je dois le retenir parmi nous... Et utiliser sa générosité naturelle, son don naturel à donner, pour l’immobiliser…

- Et le manger!

- Oui… et le manger.

 

Le silence prit la nuit comme témoin.

 

La lampe à huile coula sa mèche. Le moine se redressa pour lui redonner de la vie.

 

- Non! souffla le Maître.

 

Hiro fut surpris par le ton. Un souffle coupant comme la lame d’acier de son sabre.

Il se rassit sur son coussin.

Le Maître ne voulait pas qu’il voit les larmes glisser si abondamment sur ses joues maigres.

Il ne voulait pas que son vieil ami voit ses côtes s’affaisser et le torse se courber sous la douleur de la vie malmenée en son corps…

…car cela faisait partie de son secret à lui, du Secret des Maîtres de ce monastère. Son vieil ami n’aurait rien compris.

Il n’aurait rien compris à ce qui était déjà écrit dans les Livres de la Famille Shin. Ces « faits » se gardaient très précieusement dans la chambre secrète du monastère, dans cette grotte creusée dans la montagne et qui donnait sur le précipice vertigineux de l’abîme du torrent, là où il y a cette sculpture dans le roc d’un jeune homme riant chevauchant un tigre et brandissant un bâton d’une main et un sabre de l’autre…

 

Seuls les Maîtres connaissaient cette salle… et aussi ce jeune Blanc… dans une autre vie !!!!!

« Tu es donc revenu !... merci, mon fils. »

 

 

 

 

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