Dixième Mouvement.
Le Chant du Monde.
Heidi chantait dans la rue. Elle chantait des sons et ces sons touchaient les passants.
Parfois elle marchait... Parfois elle s’asseyait, le dos droit.
Le souffle sortait toujours de son ventre et cela impressionnait toujours ceux qui l’écoutaient car ils avaient le sentiment que ce souffle-là entrait dans leur corps.
Ils ne savaient pas si cela faisait une chanson.
Mais ils étaient touchés et ils sentaient que quelque chose bougeait en eux. Aussi ils s’asseyaient comme elle, autour d’elle et ils écoutaient.
Elle les lavait. Ils le sentaient. Mais ils ne savaient pas de quoi... Mais cela importait peu.
Certains repartirent sans les douleurs qui les tenaient depuis des jours et des semaines faisant des mois.
Ils avaient maintenant entendu parler de cette jeune femme souriante qui semblait ne rien voir, ne rien regarder. Elle descendait la vallée, de village en village et elle chantait.
Ils plaçaient une pièce ou un petit billet près du sac à dos.
Elle ne demandait rien. Elle était nourrie d’ailleurs et elle ne voulait pas rester.
Aussi elle ne prenait pas souci de son corps et de ses besoins. Les autres le faisaient pour elle et les auberges plaçaient devant elle un bol de riz avec des légumes chauds... et des familles lui demandaient de venir dormir chez eux lorsqu’ils la voyaient passer le soir alors que la nuit venait... Ils voulaient entendre la chaleur de ses sons dans le secret de leur cœur devant la cheminée qui chauffait les corps durcis par le froid vif.
Jamais elle n’a manqué de nourriture ni de la chaleur de la nuit.
Ils lui demandaient d’où elle venait et elle disait qu’elle ne se souvenait plus. Sa mémoire s’était enfuie.
Le Voyage dans la Mort.
Le Rimpoché attend dans sa carrée, assis sur son divan. L’agitation est dans son corps et il lance dès mon entrée:
- Gourou Rimpoché m’a encore donné des informations essentielles sur le fonctionnement de l’Univers.
- Ah bon!
Je n’ai pas besoin de lancer, il est déjà parti.
- Il m’a montré qu’à l’Origine de la Création de l’homme, son fonctionnement harmonieux avec l’Ordre de l’Univers ne rendait pas indispensable l’existence de Forces d’aide, de soutien et même de guérison.
- Ah bon!
- Il n’y avait pas besoin de guérison puisque il n’y avait pas blessure.
- Ah bon!
- C’est par la suite, par indispensabilité... Il a bien insisté sur cette « indispensabilité », que les Forces d’aide ont été créées lorsqu’il a fallu contrôler des débordements de l’homme qui s’écartait de l’Ordre de l’Univers.
- Ah bon!
Il est monté, le vieux!
- Mais te rends-tu compte de cette information ?... Il me dit que les Forces telle que Tara et toutes les autres n’ont une existence que parce qu’il y a en premier lieu une blessure dans l’Ordre de l’Univers!
- Ah bon!
- Alors j’ai compris pourquoi Il me disait le premier jour que les Forces d’aide n’ont pas une existence en soi!
- Ah bon!
- Elles sont le guérisseur d’une blessure... mais il faut en premier que la blessure soit là!
- Ah bon!
- C’est une compensation obligée à une dichotomie... Il a bien insisté sur « obligée ».
- Ah bon!
Il reprend le souffle qu’il a court.
- Il m’a ainsi montré pourquoi il avait cherché dans une grotte près d’ici, la Force qui était capable de compenser, de s’opposer à la pollution de l’espace humain… Une Force de courroucé, donc une Force de combat très vigoureuse.
- Ah bon !
- Il savait qu’elle existait car il percevait dans son corps la décadence et la pollution de plus en plus grande dans l’espace humain… Donc Elle devait être nécessairement auto-créée… Alors il l’a cherchée pour savoir comment il pouvait l’utiliser.
- Ah bon !
- Mais te rends-tu compte de cette information ?
Pas besoin de répondre. En fait, je ne sais pas s’il sait que je suis en face de lui à siroter mon thé brûlant. Il est dans un monologue et je suis le théâtre.
- Alors il m’a montré que ces Forces de la Création en compensation du désordre occasionné sur Elle par l’homme qui joue un autre jeu que celui pour lequel il a été conçu, sont des Forces Mondiales! Elles n’ont pas de propriétaire!... Il a bien insisté sur « propriétaire ».
- Ah bon!
- C’est la manière de les utiliser qui fait une particularité... Il a bien insisté sur ce mot de « particularité ».
- Ah bon!
- Ainsi ce sont des Forces cosmiques qui sont partout et pour tous!
- Ah bon!
- Mais cela veut dire que les guerres entre les Religions sont ridicules!...
- Ah bon!
- Ce sont les mêmes Puissances que nous utilisons tous!
- Ah bon!
- C’est seulement la manière de les utiliser qui fait des différences... Mais ces différences ne sont que des manifestations extérieures!
- Ah bon!
Il avait besoin de souffler le Rimpo. Son asthme en prenait un coup dans les bronches.
- Et il m’a montré qu’il a enseigné et montré comment utiliser ces Forces et leur donner de la puissance en utilisant l’énergie qui est contenue en Elles... C’est donc une attitude d’action.
- Ah bon!
- Alors que d’autres Religions sont entrées dans une méthode d’adoration... Donc de passivité!
- Ah bon!
- Et c’est ce qui a fait la Puissance de ses interventions afin de contrôler et transformer les actions des Bön.
- Ah bon!
- Mais que la Force originelle de ses actions, qui est cette Intelligence en dehors de l’Univers normal de l’humain, fut abandonnée lorsqu’il a perdu son combat dialectique contre ceux qui étaient pour une approche « souple » de l’action de l’être et de sa transformation!
- Ah bon!
- Alors, nous en revenons à ce qu’Il m’a montré la dernière fois... Mais maintenant, j’entre plus dans la compréhension des détails de fonctionnement de l’Univers!
- Ah bon!
- Et si je les avais connus avant, j’aurais conduit mon action et celle de mes moines d’une manière plus active!
- Ah bon!
- Alors, j’ai l’impression d’avoir perdu beaucoup de temps!
- Ah bon!
- Et le temps est si précieux!
- Ah bon!
- La vie est un clin d’œil!
- Ah bon!
Bon!... Le Padma met le turbo, mais cela ne va pas encore très loin pour la transformation psychique du Rimpo.
Il reste dans le fonctionnement basique du Bam. Il retient et comprend tout comme un combat dans l’Univers.
Même le vieux pas beau qui a la prétention de me servir de Père croit encore qu’il est engagé dans un combat entre le Bien et le Mal!
Ils ne veulent pas regarder la réalité du fonctionnement de l’Univers en tant que « nourriture » pour la Source.
Eux, les scientifiques actuels, savent cela. Tout part du « trou » noir et tout revient à lui en nourriture.
Pour ces Grands Spirituels si orgueilleux de leurs sensations dans l’espace de l’Amour Universel, et si fiers des remerciements qu’ils reçoivent lorsqu’ils ont réussi à placer un quidam dedans... puisque tout le monde il est bon et tout le monde il est gentil... et en premier lieu « la Création » en laquelle il faut avoir une confiance totale car elle est Bonté, Charité... et j’en passe!
S’il me sortait de la bouche tous les mots de « PERFECTIONS » dont l’homme habille la Création, je crois bien que demain matin vous seriez encore à m’écouter et que d’ailleurs vous seriez en train de roupiller sur la table.
Donc, on en reste encore avec les données initiales engrangées dans la mémoire de l’homme comme somnifère.
Ainsi, croyant qu’il est dans un combat, il se transforme comme un bon guerrier de Dieu et produit la guerre qui « sauve »!
Celui-là n’est pas en état de regarder avec la Lucidité du Yam pour comprendre le fonctionnement de cet Univers des Hommes et les mouvements réels du Bam.
Donc restons dans l’espace rétréci de l’Amour Universel!... Tout est bien ainsi dans le meilleur des Mondes et l’Homme gagnera peu à peu son Paradis en se transformant comme Dieu.
Il suffit d’attendre!
Vous savez bien comment le temps est l’ami de l’homme!
Heidi entrait dans un village sombre coincé entre deux promontoires de la vallée. La rivière devenait de nouveau torrent et son bruit terrifiait certaines nuits sans la lune pour dire que la vie continuait à exister.
Un appel venait en son cœur et elle hâta son pas tranquille de celle qui n’a pas le temps comme préoccupation.
Dans l’unique rue, elle vit, comme au ralenti une fillette tomber de la terrasse sur laquelle elle jouait avec d’autres gamins.
Elle suivait avec les yeux de son cœur le mouvement qui projetait la petite tête la première. La chute allait être mortelle car les pavés lourds avaient été placés pour le confort des hommes et de leurs charrettes.
Heidi ferma les yeux, et derrière ses rétines, inversa la chute. Elle sut que la fillette arrivait avec les pieds devant sur les dalles de pierre, et son cœur se gonfla de bonheur.
Le cri de la gamine amena chacun à sortir des échoppes qui emplissaient la rue étroite. Ce cri fut couvert par les hurlements de la mère qui accourait. Elle nettoyait le pas de sa porte de maison à coups de balai vigoureux et elle vit aussi la chute de son enfant. Elle s’agenouillait à côté du corps de sa fille qui gémissait doucement, la bouche entrouverte, le dos plaqué aux pavés de pierre, comme si elle était tenue par eux et ne pouvait pas se soustraire à leur contact glacial.
Ils découvrirent la marque de sang qui grossissait sous la jupe et la mère remonta le lourd tissu sur la cuisse. Ils se mirent alors à se lamenter car la jambe était cassée et l’os de la cuisse traversait la chair. Leurs cris et grosses voix couvrirent celle de la jeune fille qui semblait comme attendre, avec les yeux dans le Ciel.
Elle souriait et ils ne comprenaient pas pourquoi. Alors ils ont cru qu’elle était devenue folle et les lamentations augmentèrent dans chacune des voix.
L’attroupement grossissait autour et chacun alla d’une plainte ou d’une parole.
Il n’y avait pas de médecin dans cette partie de la vallée!
La mère prit la tête de sa fille entre ses mains et sanglota. Ses yeux ne quittaient pas le sang qui élargissait sa marque sur la chair blanche de son enfant. Elle serrait la tête entre ses seins lourds et priait. Elle ne savait pas prier mais elle dit des mots en son cœur et ces mots étaient une demande à sauver le seul enfant qu’elle eût de son seul mari maintenant emporté par la rivière lorsqu’elle est devenue folle en se déversant dans la rue.
Son enfant est son cœur; elle est ses yeux, elle est aussi sa lumière car son enfant caressait la vie et pour chacun c’était comme des fleurs qui fleurissaient sous son regard lorsqu’elle portait sa lumière sur un être vivant. Les gens disaient d’elle qu’elle était la « Lumière du Bouddha »...
C’est sa fille qui caressa la tête de sa mère en pleurs et qui dit: « Tout est bien ainsi ».
Ils crurent qu’elle annonçait son départ de la Terre des Hommes car elle avait ce don de dire la vérité avant que les hommes ne la sachent.
Aussi les vieux dressaient l’oreille les jours d’orage, de grands vents et les jours de peur lorsque cette dernière leur prenait les entrailles avec la douleur qui empêchait de manger.
Heidi descendit la rue en pente et gagna le groupe des gens autour de la fillette. Ils ne la virent pas; ils ne l’entendirent pas; ils ne surent pas qu’elle était là.
Elle ne fit rien pour rompre le mur des corps devant elle. Elle attendait, comme celle qui sait que le temps n’a aucune importance... qui sait que la mort n’a aussi aucune importance car la mort est déjà dans les corps mais l’homme ordinaire ne le sait pas. Ils ont peur du départ de la vie; ils ne savent pas qu’ils sont en train de mourir.
La fillette sait déjà cela. La flamme de ses yeux a rencontré celle de la jeune femme pendant sa chute qui lui a semblé interminable, comme si la distance à parcourir était infinie! Alors elle a regardé dans le Ciel et le Ciel lui renvoya les yeux fermés de la jeune femme qui arrivait au village. Elle vit la lumière qu’elle aimait tant derrière les paupières fermées de celle qui avait interrompu sa marche pour la prendre derrière ses yeux dans la lumière qui était dedans.
Alors c’est la fillette qui dit à sa mère d’appeler la femme qui était derrière eux tous. Elle a dit: « Prie celle qui n’est pas du village de venir contre mon corps ».
Elle le dit si doucement, avec le sourire qu’elle avait lorsqu’elle disait la vérité avant que la vérité ne fut là pour l’entendement des hommes, qu’ils crurent qu’elle s’adressait aux Divinités des Cieux, et ils la regardèrent encore avec plus d’intensité car ils sentaient en leur cœur que l’extraordinaire était proche et allait une fois de plus donner sa Puissance qui allait révolutionner les consciences et les mettre une fois encore à genoux, le front dans la poussière, à dire « Merci ».
Mais la main de la fillette poussa plus sur le front de la mère et elle souffla avec le souffle fatigué de celle qui dit tant et qui est si peu écoutée:
« Ici... Derrière... La dame avec le foulard bleu autour du cou ».
Alors ils se retournèrent tous et ils virent la « Dame » et ils restèrent en suspens de leur respiration car elle était jeune et elle souriait. Ils ne comprirent pas ce sourire dans ces instants si tragiques. Leurs faces se ridèrent.
Il vint dans leur cerveau des idées curieuses comme d’avoir entendu parler d’une jeune femme qui descendait la vallée et qui chantait des mots qui guérissaient les cœurs de leur tristesse et de leur angoisse.
Ces idées vinrent car d’autres leur avaient dit qu’ils la reconnaîtraient à un sac léger sur le dos et un foulard de soie bleu intense, un de ces foulards qui ne finissent pas et qui peuvent enrouler la tête et le cou en même temps.
Ils avaient dit aussi qu’elle souriait toujours comme si le malheur n’existait pas sur la terre des hommes et la souffrance n’avait pas d’importance.
Ces idées vinrent en leur tête lorsqu’ils s’écartèrent.
Elle ne fit rien pour avancer vers la fillette. C’est elle qui souffla:
« Il y a du travail pour toi en moi, viens! ».
Elle avait peine à murmurer avec sa voix affaiblie, mais ils entendirent tous et il leur sembla que ces sons ne venaient pas dans leurs oreilles mais dans leur cœur. Il était impossible que ces sons timides viennent jusqu’à eux car ils continuaient à faire du bruit avec leur langue qui disait des mots inutiles dans laquelle la peur était maîtresse.
Et il y avait aussi les autres qui accouraient et qui demandaient ce qui arrivait de leur grosse voix de paysans habitués à parler contre le vent et le torrent.
Ils ne surent donc pas pourquoi ils s’écartaient et donnaient une haie à cette jeune femme qui n’est pas du village. Ils ne surent pas non plus pourquoi ils soutenaient son sac lorsque les lanières glissèrent des épaules de celle-là!
Ils ne surent rien, sauf qu’il fallait donner de la place à ce qui arrivait et ce simple geste leur gonfla le cœur et ils comprirent ce qu’ils avaient parfois entendu du Grand Maître du monastère terrifiant en haut de la vallée, là où seules les effraies arrivent à vivre sous le vent glacé des crêtes déchirées:
« Sachez faire de la place à la Vérité lorsqu’elle est là! ».
Ils s’écartèrent et le cercle s’agrandit autour de la fillette soutenue par sa mère. Il leur sembla que le silence venait aussi autour de ces trois corps qui semblaient ne faire qu’un seul.
Ils virent celle qui n’était pas du village plier les genoux et descendre sur ses talons. Ce qui les frappa, fut la rectitude du corps pendant le mouvement. Tout est resté vertical dans la stature de la jeune femme.
Leur étonnement se confirma lorsque la nouvelle venue posa ses genoux au sol à côté des cuisses ensanglantées de la fillette.
Puis elle ouvrit la bouche et demanda dans la tranquillité de la voix de celle qui n’attend pas une réponse:
- « Comment t’appelles-tu ? ».
La petite fille sourit et elle fut fière de dire son nom:
- On m’appelle « Celle qui ne meurt jamais! ».
Alors celle qui n’était pas du village agrandit le sourire sur ses joues et il leur sembla qu’ils connaissaient ce sourire-là qui s’étire jusqu’aux oreilles et plisse les yeux. Certains dirent en chuchotant que c’est le sourire du Bouddha.
Elle murmura: « Alors c’est bien ».
Puis elle mit sa main sur la cuisse de la fillette, au centre de la plaque de sang, là où l’os perçait les chairs.
Des sons doux sortirent de ses lèvres entrouvertes. Ses yeux fermés ne voyaient rien que les lumières qu’elle avait derrière les paupières.
Ses yeux soufflèrent sur cette lumière et elle accéléra le mouvement de son cœur selon l’Ordre de la Terre avec le Soleil.
Celle qui portait le nom de « Celle qui ne meurt jamais » laissa sa tête aller entre les seins de sa mère qui lui caressait le front. La mère sentait le souffle de sa fille s’apaiser et la douleur quitter le corps.
Ses yeux fixaient cette main sur la cuisse de sa fille. C’était une main d’une travailleuse de la montagne!... Elle ne comprenait pas comment une telle main pouvait guérir la douleur!
Puis les sons s’amplifièrent et les chairs de la cuisse bougèrent. Tous, ils virent l’os qui retournait dans la cuisse. Ils se frottèrent les yeux et se regardèrent pour tenir la confirmation de l’autre que les Kamis ne les abusaient pas.
Celle qui n’était pas du village cessa de chanter. L’os était revenu à sa place et ils l’entendirent s’emboiter avec ce qui était plus haut dans la cuisse.
Alors, la jeune femme pleura et les larmes vinrent sur la chair blessée et ils virent que la chair se refermait aussi.
La chaleur était intense alors que le froid donnait son plein dans la vallée avec le vent qui ne cessait pas depuis des jours et qui gelait les corps sous les couvertures.
Puis il n’y eut plus rien.
Celle qui n’était pas du village resta un long moment agenouillée près de la fillette. Sa main glissa de la cuisse au cœur et laissa sa trace rouge sur la robe.
La mère disait des mots doux à sa fille.
La fillette ne regardait que celle qui n’était pas du village. Ses yeux flamboyaient.
Puis elle dit: « Moi aussi, je veux savoir aider les hommes à vivre! ».
Sa voix reprit du ferme et ils l’entendirent tous et ils sourirent.
Alors, c’est celle qui n’était pas d’ici qui laissa de la tristesse aller sur ses joues. Ils n’entendirent pas ses mots. Seule « Celle qui ne meurt jamais » les entendit dans le secret de son cœur et elle fronça les sourcils.
« Mais sauront-ils mourir ? ».
Puis celle qui n’était pas du village se redressa, le corps droit et ils virent le mouvement inversé toujours dans la même rectitude.
La fontaine était proche et la jeune femme lava ses mains rouges du sang maintenant sec.
Ils soutinrent son sac lorsqu’elle glissa ses bras dans les lanières.
D’un geste d’une longue habitude, elle fit sauter le sac sur ses épaules d’un coup sec des reins.
Ils ne comprirent rien lorsque la marche de la jeune femme reprit. Ils restaient interdits, immobiles. Ils ne surent qu’elle était partie que lorsque la mince silhouette disparut au coude du chemin.
Ils voulurent courir derrière elle.
C’est la fillette qui les arrêta: « Laissez-la seule » dit-elle.
- « Pourquoi ? » demandèrent-ils.
Alors la fillette ferma les yeux et dit doucement:
- « Parce qu’elle est triste »... Ils ne comprirent pas.
Le Voyage dans la Mort
Suite
Le Rimpo avait la mine plutôt défaite. Ses moines lui avaient placé des coussins derrière le dos pour soutenir sa posture assise.
Lorsque je pointe mon nez après le dîner, histoire de vérifier sa détermination nouvelle qui ne me laisse pas une impression indéracinable, il me donne un regard de chien battu qui a trouvé son os sans viande dans sa gamelle quand il est rentré à la maison.
- Gourou Rimpoché a continué à me donner des Enseignements Essentiels toute la journée, dit-il, pendant que je prends place devant lui et que les moines arrivent avec le thé et les petits gâteaux.
Pas besoin de le pousser, il est déjà parti pour son marathon dialectique.
- Je suis resté comme en transe après ton départ ce matin et mes moines ont cru ma mort proche. J’étais avec Lui, dans sa Dimension de Lumière, et il m’a fait découvrir avec une clarté aveuglante que les Forces de Défense de la Dignité ont pour action principale la Défense de la Création et pas celle de l’homme...
- Ah bon!
- En fait!... Que la défense de l’homme n’a d’intérêt pour Elles que lorsque cela aide la Nature originelle de la Création.
- Ah bon!
- Je crois que je m’explique mal avec les mots... Bien que les perceptions que j’ai eues soient d’une clarté ne laissant aucun doute.
- Ah bon!
- Je t’ai dit hier qu’elles se sont auto-créées en réponse naturelle et en indispensabilité à un mouvement de l’humain qui ne correspond plus à l’Ordre harmonieux de l’Univers... Tu te souviens ?
- Ah bon!
- Mais, aujourd’hui, Gourou Rimpoché m’a montré que l’intérêt premier de ces Forces est de défendre l’Ordre rompu, mais pas l’homme aliéné par ce dérèglement de l’Ordre... Je me fais comprendre ?
- Ah bon!
Il fronce les sourcils.
- Mais est-ce-que tu comprends que cette information est une révolution dans ma Tradition ?
- Ah bon!
- Dans ma Tradition, les Forces Supérieures de la Création telles que Tara et les autres, sont des supports essentiels pour les humains à la recherche de retrouver l’union avec l’Ordre premier de la Création...
- Ah bon!
- C’est pour cela que nous les adorons et nous leur donnons tant!
- Ah bon!
- Parce que pour nous, Elles sont « pour nous »!
- Ah bon!
- Alors que maintenant Gourou Rimpoché me montre qu’elles sont en défense première de l’Ordre, mais pas de nous!
- Ah bon!
Il a de la peine, le vieux!
- Alors cela veut dire que nous sommes secondaires pour Elles et que nous aider n’a un intérêt que si cette aide est en même temps un bienfait pour l’Ordre!
- Ah bon!
- Et maintenant, le dérapage de l’homme est tel que l’aider devient vraiment secondaire pour Elles... Et que c’est pour cela que malgré toutes nos demandes, offrandes et adorations, nous obtenons un si petit bienfait que certains de nous se demandent si Elles existent vraiment et pourquoi Elles ne viennent pas plus franchement à notre aide.
- Ah bon!
Il en devient presque furibard!
- Gourou Rimpoché m’a bien montré cette nuit l’orientation de leur aide... Et nous ne sommes vraiment « rien » pour Elles... Que des outils à produire une énergie pour la Source de cet Univers dans lequel l’homme est... Rien d’autre!
- Ah bon!
Pas content, il est.
- Voilà!... Si je voulais dire cela en quelques mots très clairs pour moi après ces visions de cette nuit, les Forces Supérieures de la Création sont auto-créées en réponse à une rupture de l’Ordre afin d’aider cet Ordre...
- Ah bon!
- Elles ne sont pas là pour aider l’homme à se sortir du monde du désordre dans lequel il s’enlise!
- Ah bon!
- En fait, elles ne sont pas là pour l’Homme!... Voilà les choses dites avec la sincérité de mon cœur après mes vues sous les impulsions de Gourou Rimpoché.
- Ah bon!
Il reprend son souffle qui s’est raccourci. Il a du mal au cœur, le vieux Holiness. Son regard suit les mouches au plafond qui n’ont pas d’intérêt pour les mots de l’homme. Elles se sautent dessus et l’on se demande toujours pourquoi elles s’emmerdent autant entre elles. Est-ce-que elles aussi utilisent la première loi en énergie fondamentale pour se nourrir ?
Comme il en a gros sur le cœur et que celui-ci déborde au point que les larmes ne sont pas loin derrière ses paupières mi-closes, il continue avec ses mots et moi comme théâtre à l’écouter.
- C’est un abus de notre connaissance... Je dirais que c’est un abus de notre ignorance.
- Ah bon!
- Gourou Rimpoché avait été le « Maître » de ces Forces et les a obligées à aider l’Homme en perdition...
- Ah bon!
- Pour cela il a utilisé ses connaissances du fonctionnement énergétique de l’Univers... Et ceux qui ont pris sa suite ont perdu ces possibilités de manier les Forces selon les besoins de l’Homme... Et il s’est développé cette forme d’adoration et de soumission qui est notre Tradition.
- Ah bon!
- Et plus que de l’adoration!... Nous avons développé des moyens multiples pour les nourrir, les renforcer et les honorer...
- Ah bon!
- Et en finale, cela ne sert à rien car ces Forces ne sont pas là pour nous!
- Ah bon!
- Et c’est le constat de cet échec permanent: tant d’efforts, de pratiques et d’adoration pour un si petit résultat d’aide à l’Homme dans le besoin!
- Ah bon!
La salive a du mal à passer le gosier.
- Ainsi, ce vieux Père que je suis, sais maintenant pourquoi j’ai tant œuvré sur la Terre des Hommes avec un si piètre résultat...
- Ah bon!
- Quelle perte de temps!
- Ah bon!
- Nous nous sommes appuyés sur des amis qui ne sont pas en fait nos vrais amis!
- Ah bon!
Il reprit la contemplation du plafond et du jeu curieux des mouches qui passent leur temps à se sauter les unes sur les autres.
- Le pire est que j’ai compris cette nuit quelles furent les conséquences de l’échec de Gourou Rimpoché.
- Ah bon!
- Il nous amenait cette Connaissance de la Maîtrise de l’Univers et il lui fut préféré la soumission douce et amicale avec les Forces auto-créées.
- Ah bon!
- Alors nous avons perdu les possibilités d’avoir la « Vue Directe »... C’est le mot qu’Il a employé.
- Ah bon!
- Et sans cette Vue Directe des mouvements réels de l’énergie, nous sommes comme les nuages poussés par le vent et qui prient de bien vouloir aller dans une direction qu’on aimerait bien.
- Ah bon!
Il a de la peine, le vieux.
Passer tant de temps et s’apercevoir que ses points d’appui étaient pourris dès l’origine!
- Alors il m’a dit que je dois trouver en moi d’autres points d’appui et oublier ceux qui me sont proposés par ma Tradition qui n’est pas la sienne...
- Ah bon!
- Il a insisté sur ces mots!... Pas la sienne!
- Ah bon!
- C’est une création qui nous est personnelle.
- Ah, bon!
- Elle n’a pas de lien avec Lui!
- Ah bon!
- Le seul lien que nous avons avec Lui est l’Amour que nous avons pour Lui.
- Ah bon!
- Mais l’homme ordinaire n’a de l’amour que pour lui-même et sa recherche du bonheur!
- Ah bon!
- Alors il n’y a pas de lien avec Lui!
- Ah bon!
- Et c’est là que la Tradition mise en place à partir de son départ entre en scène et nous donne des moyens d’actions... Mais ces moyens ne sont pas Lui!
- Ah bon!
- Et ces moyens sont faux... Ou tout au moins insuffisants car ils sont construits et ils s’appuient sur une ignorance du fonctionnement réel de cet Univers.
- Ah bon!
Il a un coup de vieux et son dos s’affaisse. Les larmes se décident à glisser sur ses joues et se libérer des paupières.
- Et j’ai mis mes moines là-dedans!...
- Ah bon!
- Et ils m’ont suivi car ils ont cru en moi!
- Ah bon!
- Je suis un guide qui a mené le troupeau au précipice!
- Ah bon!
- Je suis indigne!
Je le laisse digérer les mots qui sont sortis de sa gorge et je dis:
- Cela est faux, dis-je.
C’est alors qu’il me regarde vraiment comme s’il découvrait ma présence.
- Je ne comprends pas, dit-il.
Je le laisse avec quelques respirations et je dis:
- Tu ne les as pas envoyés au précipice.
- Pourquoi ?
- C’est eux qui y sont allés d’eux-mêmes.
- Pourquoi ?
- Parce que ce précipice est dans leur mémoire comme aboutissement du voyage spirituel.
Le vieux plisse les yeux et entre profondément en lui. Alors c’est lui qui dit:
- Tu veux dire qu’ils se sont servis de moi pour y aller ?
- C’est cela, je confirme.
Mes mots disent une vérité qui le touche et un lent sourire du cœur vient sur ses lèvres.
- Je suis un gamin pour toi, n’est-ce-pas ?
- Oui, je fais.
Il prend ses souffles dans son ventre et tente de redresser son dos.
- Mais je dois te dire que j’ai été heureux d’être ce gamin, dit-il.
- C’est bien là le noueux du problème, je réponds.
Il laisse encore son souffle reprendre du vent.
- Tu veux dire qu’il y a un plaisir produit sur le corps et l’esprit lorsque nous sommes dans cette manipulation mentale ?
- Oui.
- Alors tu dis que la Création nous pousse à entrer en adoration avec les Forces auto-créées à partir d’Elle... et que cette adoration est une jouissance ?
- Elle n’a pas à pousser... Je fais... Cela se fait tout seul.
- Je ne comprends pas.
- Je sais.
Alors il reprend encore son temps et cherche dans son cœur. Puis il demande:
- Veux-tu dire qu’il y a un conditionnement en l’homme qui le pousse à chercher cette jouissance ?
- Oui.
- Et que cette jouissance cache la réalité des transferts d’énergie ?
- Oui.
Il laisse encore le temps prendre son temps et il demande tout simplement avec la douceur du cœur qui ne comprend pas.
- Pourquoi ?
Je laisse encore le temps au temps car la question est essentielle dans le devenir de l’Homme.
- Le plaisir à être manipulé, exploité et usé, dis-je.
Ces sons-là sont un choc pour le vieux qui se plie en deux sous la douleur dans le ventre.
Mais c’est un brave et il remonte le dos contre les coussins.
- Tu veux dire que nous avons une attirance à être soumis ?
- Oui.
- Pourquoi ?
- Je te le laisse découvrir tout seul, je fais.
Il ne sourit pas. Ses yeux veulent entrer profondément dans les miens mais je ne leur laisse pas le passage. Il doit trouver la réponse tout seul et cesser d’être guidé comme un gamin.
- Est-ce-que cela a un rapport avec ce que Gourou Rimpoché me disait: « je dois trouver d’autres points d’appui ? ».
- Oui... Mais...
- Mais ?
Je redonne le temps au temps.
- Pour trouver de nouveaux points d’appui, il faut déjà que les anciens soient tous détruits, dis-je.
- Pourquoi ?
- Parce que le confort des émotions et des sensations pousse toujours à ressauter sur les anciens points d’appui... après une modification périphérique mais sans grande conséquence pour la structure de sécurité de base, je dis.
- Alors il faut que tout l’ancien soit détruit pour que le nouveau puisse venir ?
- Oui... Si tu vas comme un avion à réaction en survolant tout sans regarder les détails, je dis.
Il reprend le temps pour lui.
- Tu peux m’en dire plus ?
C’est moi qui prends le temps de laisser monter les mots vrais qui toucheront son cœur:
- Il n’y a pas un « avant » et un « après »... Tout se fait en même temps car le mouvement de la vie est spatial, je dis.
Il ne comprend pas et ses yeux se plissent sous l’effort de retrouver dans sa mémoire une trace de ce que je dis.
Alors je continue pour lui.
- Le Fils se constitue pendant que le Père meurt.
Il ne suit toujours pas. Il cherche dans sa mémoire, qui est celle de sa Tradition, des repères à ce que j’avance et il ne les trouve pas car cela n’est pas dans le passé de l’homme. Cette connaissance est sans passé et c’est sa grandeur et son immortalité.
Puis il demande.
- Alors pourquoi est-ce si difficile à comprendre ?
- À cause de l’espoir, je dis.
- Je ne comprends pas, il fait.
- Je sais.
Il laisse encore le vent venir en lui.
- Tu peux m’expliquer ?
Je fais « non » de la tête.
À lui de trouver seul!
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