Sixième Mouvement.

 

La séparation.

 

 

Le vieillard souleva sa tête de l’oreiller et Hiro l’aida. Il devenait plus faible de jour en jour.

Il avait prévenu que sa succession est maintenant ouverte. Aussi allaient venir au monastère tous les chefs de groupes de la Famille répartis dans le Monde.

Mais il avait dit aussi que cette ouverture est complète... et que chacun qui se sentirait assez fort et puissant pour porter dans son corps cette Famille, pouvait venir et participer aux échanges qui conduiront au choix final.

C’est une grande révolution dans la Famille: une succession ouverte!

Les énergies circulaient puissamment et le monastère devenait une ruche.

 

Le vieux était fatigué.

Son regard quittait les Hommes.

Ses yeux allaient sur le Livre d’Or et cela était son seul bonheur.

Il ouvrit de nouveau l’ouvrage et ses yeux suivirent les lettres que sa bouche prononçait.

 

 

Le Voyage dans la Mort.

 

 

Ce ne sont pas les trompettes qui m’ont réveillé à deux heures du mat, mais les moines qui viennent me dire que le Rimpoché ne va pas bien et qu’il me demande.

À leurs mirettes, il est certain qu’il y a urgence.

 

Le Rimpo est allongé sur le dos dans son lit et il a une crise d’asthme. Un peu normal après ce qu’il a ingurgité aujourd’hui, mais la respiration se fait très mal et il serait proche d’avaler son extrait de naissance que cela ne m’étonnerait pas.

Cela ne fait pas mon affaire, ni la sienne, car nous ne sommes pas prêts, l’un comme l’autre à partir en voyage dans la Mort.

 

Alors je lui place ma main sur le torse et je commence à libérer le souffle. J’évacue les énergies perverses par les bras et tout rentre dans l’ordre en cinq minutes, ce qui fait l’émerveillement des moines qui ne sont pas loin de me prendre pour la réincarnation d’un très grand Saint guérisseur de chez eux.

Moi une réincarnation! Té, il ne manquerait plus que cela... J’en serais franchement vexé!...

Et qu’ils le supposent me donne des fourmis dans les guiboles qui pourraient se défouler sur les testicules qu’ils portent entre les deux cuisses comme de parfaits primates.

 

Le Rimpo ouvre de nouveau les yeux pleins de larmes, ce qui est normal après les rétentions prolongées du souffle... Mais au fond des mirettes, il y a de la joie.

 

    - Tu joues avec l’énergie comme un magicien, il me fait... Merci.

 

Je hausse les épaules. On n’est pas là pour moi, mais pour lui. Et le diagnostic de mes performances n’a aucun intérêt.

 

    - J’étais avec Gourou Rimpoché, il dit doucement lorsque l’air recommence à circuler correct.

    - Ah, oui, je fais... en mec super intéressé et qui voudrait retourner au pieu.

    - Je suis entré en Lui et j’ai reçu de grands Enseignements, dit-il.

 

Lui, il veut causer. Aussi il dit à ses moines d’aller se faire du thé en cuisine, et au passage de nous en amener aussi... Et moi, je tire une chaise à son côté car j’ai l’impression qu’il veut me raconter un roman.

    - J’étais donc en Son Corps... Et il m’a dit l’essentiel: la Force est la Vue... La Vue donne les Pouvoirs de diriger l’énergie... La maîtrise de l’énergie permet de créer et d’agir... Ces actions ont une conséquence qui est un fruit.

     - Ok!... Je fais... C’est tout ?

 

Il me regarde étonné.

    - Car pour toi, tout cela et cette magnifique compréhension de la Chaîne de Vie, ce n’est rien ?

    - Je suis copain avec Dieu, dis-je... et il m’a mis au parfum depuis belle lurette.

 

Il continue son regard d’enfant.

   - Tu es étonnant!... Je ne sais plus très bien si ce sont mes contacts avec Gourou Rimpoché qui sont les plus importants... ou ta présence ici...

 

Il est sérieux...

Alors comme je suis très gentil et super fatigué, je lui fais une part du travail.

    - Il faut toujours aller à l’Origine, dis-je.

   - C’est exactement ce qu’Il m’a dit!... Remonter à l’Origine, s’exclama-t-il... Ce qui le fit tousser car sa respiration était encore loin d’être parfaite, malgré ma main qui régulait ses poumons.

    - Et ?... Je fais toujours en mec super concerné.

Lui, il est enthousiaste.

    - Alors il m’a montré où fut l’erreur et où est l’erreur qui se continue, dit-il, enflammé.

    - C’est-à-dire ?

    - Il m’a dit que la Vue est l’origine de Tout en cette Création... Par cette Vue, on agit... Il y a un fruit...

    - Et ?... je fais pour couper court car il se répète et je connais perfect.

   - Et ?... Le problème de l’homme est qu’il n’est captivé que par le « fruit » et l’origine devient secondaire pour lui...

  - Et il construit un monde perso à partir du fruit et ne veut plus entendre parler de l’Origine car elle va lui foutre le bordel dans sa création... je fais, en vitesse, histoire de gagner du temps...

 

Il me regarde ahuri.

    - Si tu n’as pas d’autres denrées à me proposer, je me tire et je me pieute directo, je fais, toujours rapide et allant droit à la cible.

   - Mais cela veut dire que nous avons perdu la Source dès le commencement de nos constructions, s’étonne-t-il de ma manière primesautière.

    - Et c’est pour me dire cela que tu me tires de mon pieu et d’un rêve terrible avec une belle rousse polaire... je fais, pas content.

 

De nouveau son regard d’enfant sur moi.

    - Parce que toi, tu connais tout cela ?

   - C’est le début de l’apprentissage d’un homme sérieux qui ne veut pas être un type de deuxième main, je fais.

    - De deuxième main ?

   - Oui... Un gus qui passe son temps à être un magnétophone qui a enregistré un autre magnétophone et qui le répète aux autres comme vérité transcendantale... Alors je vais me pieuter de nouveau...

    - Mais, attends encore!

 

Il tente de se redresser sur le plumard tellement c’est important pour lui.

    - Mais il m’a montré qu’il est toujours possible de retrouver cette « Vue » car elle est une des Forces constituant cet Univers!

    - Tiens, donc!... C’est tout ce qu’il a trouvé pour bousiller ma nuit, je fais en levant le cul de ma chaise.

  - Mais... C’est encore possible!... Possible!!! hurla-t-il au moment où ses moines radinaient avec le thé bouillant.

   - Je sais, je fais... C’est ce que je tente d’expliquer et de montrer à tous les détours du chemin.

    - Et ?

    - Alors pépère je vais te raconter une histoire qui m’est arrivée dans un train entre Lyon et Montpellier en France, un train de nuit.

 

Donc nous étions deux dans le compartiment, chacun allongé sur une des banquettes.

Tranquilles.

Puis le mec en face de moi me demande soudain: « Qu’est-ce que vous vendez ? ».

Moi, je n’avais pas le sentiment d’avoir écrit sur la poire « représentant de commerce ». Je fus donc un peu étonné; mais je lui ai répondu dans son mouvement: « Dieu ».

Il me reluque un moment puis il pose la question:

« Ça se vend bien ? ».

« Pas trop, je fais ».

 

Puis il ferme les hublots et nous roupillons tout le reste du parcours.

Voilà mon histoire!... Alors ton histoire à toi!... Ne perds pas ton temps en excitation... Bien sûr que c’est possible... Mais encore faut-il regarder dans la bonne direction: la Source et pas le Fruit...

    - Mais c’est possible!

    - Bien sûr!... Mais tu es dans des rêves à la con, je fais.

 

Comme il ne comprend pas et que je veux soulager ses poumons, je continue sur ma lancée.

    - Le problo, ce n’est pas que cela soit possible ou non... C’est de savoir si la denrée est vendable sur le marché... Alors ne rêve pas et ne met pas ton cœur en émoi!... Tu as bien vu hier « le marécage »... Y-a-t-il de la place pour cette « Vue » dans tout ce fourbi ?

     - De la place ?

    - Et oui, pépère!... C’est là la question principale: l’espace... Alors où est l’espace fait dans le marécage pour recevoir cette Force de la Vue ?

 

Il ferme les yeux et des larmes coulent sur ses joues. J’insiste car cet enthousiasme est stérile:

    - Et aujourd’hui tu as vu que c’est ce marécage qui est « la Réalité »... Le reste est du virtuel... Comme tes connaissances que tu sors de la mémoire de ton Gourou Rimpoché... Pas du réel!

    - Alors comment faire ?

 

Je laisse un moment à l’Intelligence qui est en moi de reprendre son souffle.

 

    - En premier lieu, demain, nous allons aller voir d’un peu plus près cette réalité qui est le marécage pour que tu puisses te faire une réelle connaissance de ce qu’il est... Car si tu continues ton rêve à la con de « mais c’est possible! » tu vas revenir dans une drôle de réincarnation qui va te manipuler dans les évidences organisées par ce marécage.

 

Il m’écoute, il prend son temps. Il ne perd pas le fil de ses perceptions et il me dit:

    - Mais Gourou Rimpoché m’a dit que cette « Vue » est une des Forces constituant cet Univers... Cela est une information colossale!

     - Pourquoi ?

     - Parce que dans notre Tradition, la Vue est un « état d’être »... Une conséquence... Pas une origine.

    - Ah!... Vous en êtes encore là!

    - Ça t’étonne ?

    - Oui... Je vous croyais un peu plus évolués dans vos connaissances du fonctionnement et de la création de cet Univers, je fais...

    - Pour toi, nous ne sommes encore que des gamins, n’est-ce-pas ?

    - Des gamins qui font beaucoup de bruit, je fais.

 

Ses yeux s’embuent. Il comprend vite le vieux.

 

    - Alors je vais au pieu, je répète en raflant au passage une moque de thé.

 

La nuit ne fut pas calme. La tristesse glissait en moi, sournoise. J’étais déçu du Rimpo. Ses derniers enthousiasmes révélaient que ce Monde Tibétain n’est pas aussi évolué que je le supposais.

Ils n’ont pas une bonne connaissance de base du fonctionnement de cet Univers et encore moins de sa création.

Cela signifie qu’ils se sont contentés d’organiser une belle boîte bien confortable avec les « fruits » et qu’ils ont su y mettre une sauce qui leur convient tous très bien.

Cela signifie - encore plus pervers - qu’ils ont su s’appuyer sur les références les plus fortes créées par la Force à se faire du mal, et que dans ce marécage, ils ont organisé un petite place sympa qui leur donne les satisfactions émotionnelles qu’ils ont mises en valeur.

 

Cela veut dire que je ne suis pas au bout de mes peines avec le copain du Roshi! Et j’ai du découragement dans le cœur.

Et que la petite leçon que j’ai reçue hier matin, vous vous souvenez ?... L’histoire avec les fesses de sa fille!... ce n’est pas par hasard, ce que d’ailleurs je savais déjà, mais je suis toujours émerveillé de la rapidité des réponses avec moi. Entre l’interrogation et le final, le temps est court et j’aime bien.

 

Aussi comme le temps n’est pas l’ami de l’homme, et que je perçois le fleuve énorme que je dois enjamber pour amener le Rimpo sur des terres moins polluées qui ne dégagent pas un gaz qui asphyxie l’entendement et la compréhension, je me demande sérieux si je ne vais pas prendre le plane direct pour Singapour, cette magnifique plaque tournante d’Asie à partir de laquelle on peut se projeter partout... et faire un bras d’honneur à ce Monde Tibétain qui me déçoit.

Donc pour vous dire dans quel état d’esprit j’arrive le matin à la carrée du Rimpo, les mains dans les poches de mon blouson de daim.

Lui, il est rayonnant, bien que fatigué. Il a bossé toute la nuit avec son Gourou et ils se sont bien entendus ensemble. Alors il a plein de nouvelles à me balancer sur les genoux et il se précipite dès que j’ai mis mes fesses sur le divan en face de lui et croisé mes jambes en lotus.

Heureusement qu’il y a deux moines qui me mettent d’autres choses sur les guibolles.

Donc le thé dans une main et les petits gâteaux dans une grande assiette à côté de moi, car ils ont compris depuis notre petite réunion dans la rue de la Stûpa que j’ai un faible pour les sucreries, ce pour quoi d’ailleurs le Roshi me reprend toujours en me prévenant que je vais faire du lard... et que la graisse ralentit le mouvement de l’énergie fondamentale dans le corps...

Donc je peux écouter le vieux avec du carburant avec moi, et prendre la mine du mec très intéressé qui entend pour la vingtième fois l’histoire de la bergère qui demandait au berger... Bon, vous la connaissez aussi perfect!

 

Donc je mets mes yeux dans ses mirettes car vous avez maintenant compris que c’est avec les yeux qu’on écoute...

Ce que d’ailleurs le Rimpo a parfaitement intégré depuis sa rencontre d’hier avec son Gourou puisqu’il me balance tout de suite dans « la Force de la Vue ».

Comme si je ne savais pas par cœur!... Mais je fais le con, ce qui est une attitude qui m’est très naturelle comme vous le savez maintenant.

 

    - Il m’a montré dans les détails que c’est la « Vue » qui est l’impulsion au mouvement. Ensuite le mouvement se déroule de lui-même et produit un fruit qui est consommable, dit-il avec des frémissements dans sa voix d’asthmatique.

 

Je le laisse dérouler son rythme. Ce matin je suis fatigué des hommes; pas envie de participer duraille... Juste le minimum de survie!

 

   - Ce fruit est une nourriture et l’homme peut donc l’utiliser... Mais ce qu’il m’a montré, c’est que le « mouvement » est la véritable action. C’est « lui » qui peut changer le Monde. Le fruit n’est qu’une conséquence de ce mouvement... tu comprends ?

 

Je fais le con avec les yeux à chercher de la place encore libre au plafond entre les chiures de mouches.

 

    - Il m’a montré que s’attacher au « fruit » est ridicule car le « mouvement » est l’arbre et c’est l’arbre qu’il faut préserver!

 

J’ai trouvé quelques places encore libres!

 

   - Même si consommer le fruit est normal car c’est une nourriture énergétique qui renforce. Mais ne porter attention qu’à lui, c’est être un jour dans la pénurie car l’arbre se dessèche par manque d’attention.

 

Mais les mouches les repèrent aussi et il y en a deux qui sont en train de se battre pour la place!

 

    - Alors il faut porter attention à l’arbre, tout en consommant le fruit, ce qui est normal!

 

J’enfourne un nouveau gâteau sec entre mes ratiches.

 

    - Mais l’arbre n’est que le mouvement produit sous l’impulse de la Vue... Alors il faut avoir la Vue, faute de quoi tout le processus se détruit!

Alors je sors de la méditation. Faut dire que le dernier gâteau n’était pas une réussite et que je n’ai pas envie d’en refourguer un de plus. Alors il va falloir que je trouve une autre activité pour ma bouche qui a besoin d’un peu d’exercice et la fabrication de sons est une action comme une autre.

Alors je fabrique des sons qui deviennent des mots.

    - Et comment on a cette « Vue » ?... Il te l’a dit, ton Gourou ? je fais.

 

Le vieux a un raté dans la glotte et sa machine à parlottes disjoncte.

    - Non... Il ne me l’a pas dit... Mais tout est tellement « évident » lorsque je suis avec lui!

    - Que tu ne lui as pas posé la question, n’est-ce-pas ?

    - Oui... C’était évident que nous avons naturellement cette Vue en nous... et qu’elle est à notre disposition si l’on veut bien la prendre et l’utiliser, dit-il lentement.

   - Alors, mets-là sur la table!... je fais, pas très content de perdre mon temps avec ces connaissances visions sans matière d’action.

 

Là, il est coincé le Rimpo.

Alors je le pousse encore un peu.

    - Et « maintenant », je fais en articulant toutes les syllabes... MAINTENANT, tu l’as cette « Vue » avec toi ?

 

Il commence à pâlir avec la comprenette au kérosène.

Alors j’enfonce le clou.

    - Et tu parles... Tu parles... Tu parles... Mais c’est à partir de cette « Vue » ?... ou de ta mémoire ?

 

Là, il est shooté!

    - Alors cesse de raconter tes visions et de parler de ces connaissances qui viennent d’elles, je fais assez brutal.

     - Tu veux dire que ce sont des connaissances fausses ?

     - Non... Elles ne sont pas fausses...

     - Alors ?

     - Alors ?... Ce n’est pas avec cela que tu vas toucher la matière de ta vie... Tu es dans de la Connaissance qui ne te donne pas un accès pratique à la Force de Vie que tu appelles la « Vue »... dis-je pas content de continuer à perdre mon temps.

 

J’ai le sentiment que dans ce Monde Tibétain, ils ont passé beaucoup de temps à la recherche de ces connaissances provenant seulement de la mémoire des hommes et de l’Univers. Cette mémoire est en chacune des cellules du corps. D’ailleurs la science moderne, pas si mal informée que cela! a découvert que dans chacune des cellules du corps il y a la totalité de la mémoire de l’Univers.

Alors ces Tibétains se sont fait un défi d’aller voir à qui mieux-mieux dans cette mémoire et ont fait des concours d’endurance. À celui qui allait le plus loin et le plus vite!

Mais le problo est qu’entre la mémoire qui est un engrangement du passé et la Force de Vie qui est dans le « présent » il y a plus qu’un précipice: c’est un abîme.

Et voilà pourquoi toutes ces connaissances n’amènent pas la libération à celui qui les trouve. C’est juste une info!

 

    - Alors, ton Gourou, il t’a dit comment toucher cette Vue ?

 

Il cherche dans sa mémoire.

    - Ne perds pas ton temps!... Vous n’avez communiqué qu’à travers la mémoire. C’est une info vraie... Mais c’est une info... Alors tu sais que cela existe « partout »... et ce n’est déjà pas si mal...

Mais quitte à « la » trouver, ça c’est une autre paire de manches qui demande autre chose que sa comprenette en activité... Il faut la chercher et la trouver cette « Vue » qui est « partout! ».

 

Il me regarde avec des yeux qui n’ont pas de fond.

    - Donc il ne t’a pas dit d’où provient cette « Vue », ton Gourou... Ni d’où provient aussi le « Mouvement » ? je fais.

 

Je continue à plonger dedans.

    - Alors tu n’as aucune connaissance du lien entre Intelligence et Matière! je continue.

 

Ses mirettes s’agrandissent.

    - Alors dis à ta prochaine rencontre avec ton Gourou de te fourguer des infos exploitables et pas de te balancer des données inutilisables car il manque le support, je fais, pas content.

 

Mon mécontentement se fait jour de respiration après respiration et le Rimpo est en train de se dire que je soulève de sacrés lièvres qui courent vite et que son fusil n’est peut-être pas assez long.

    - Éh oui!... Je fais... C’est le lot de tous les Maîtres à la con!... Ils donnent des infos mais ils ne fournissent pas l’espace de fonctionnement... Alors t’es comme un gosse qui cherche à faire fonctionner le jouet qu’on lui a donné mais dont on n’a pas fourni la batterie...Tu comprends ?

 

Pas trop, fait-il de la tête car il a le gosier un peu bloqué.

    - Alors je vais te prendre un exemple à la portée du premier gamin de nos jours.

Lorsque tu achètes un jeu vidéo, ou une autre connerie dans ce genre qui peut être un traitement de texte car tu vas me dire que tu n’aimes pas les jeux, le vendeur te pose quelques questions.

La première, quel est « l’environnement » que tu procèdes sur ton ordi... Windows, Mac ou autres ?...

La seconde, quelle est la puissance de ta mémoire vive et de ton ordi ?...

Tu vois, eux!... Ils savent ce que c’est que « l’espace d’accueil » et ensuite sa « puissance ».

 

Mais « vous » les Grands spirituels, les Grands Maîtres, vous avez oublié ces principes de fonctionnement!... Alors tout peut être manipulé!... Sans l’espace ad hoc, l’outil ne fonctionne pas, je fais franchement en colère.

 

Il reste un moment à suivre mes mots dans son cerveau et il demande:

     - Peux-tu me préciser mieux ?

    - C’est simple!... On te sort de ta mémoire des infos, mais on ne te donne pas le terrain pour les cultiver. Alors tu tournes en rond et tu fabriques une énergie colossale pour trouver une solution... et cette énergie est la nourriture du connard qui t’a mis dans tout ce bisbille!... Et cela est la première loi en énergie fondamentale!

 

Il laisse les mots venir de son gosier ratatiné:

    - Tu veux dire que ce type de connaissances peut être une manipulation énergétique lorsque l’on n’a pas « l’environnement » pour les exploiter ?

     - Exact!... peut-être que tu commences à comprendre, je fais...

 

Je prends moi aussi quelques respirations et je cherche des mots qui peuvent être simples.

    - Alors je continue selon l’exemple de l’informatique.

Il a une mémoire avec une connaissance. Mais il faut connaître le chemin d’accès à cette connaissance pour la ramener sur l’écran de l’ordi qui est « l’exploitation »... Sans ce chemin d’accès, tu « sais » qu’il y a quelque chose quelque part, mais tu ne peux pas « l’utiliser ».

 

Il commence à comprendre.

Alors je continue.

    - Et pour trouver le chemin d’accès, il faut au départ savoir où est stockée l’info... Sans cette connaissance, on ne peut pas trouver le chemin... Et on reste con toute sa vie et on perd un temps infini à « chercher »... Mais la vie coule et il n’y a toujours rien en exploitation sur l’écran de l’ordi... Tu comprends ?

 

À lui maintenant de prendre le relais et je lui laisse le temps.

 

    - Tu veux dire que je dois savoir d’où provient « la Vue » et d’où provient « le Mouvement » pour que je puisse les exploiter ensemble et produire un « Fruit »... N’est-ce-pas ?

 

Il m’épate le Rimpo. Il est dans une culture limitative, et il réussit à passer par-dessus avec son Intelligence Intuitive.

    - C’est cela, Pépère!

 

Il laisse le temps couler encore et il reprend encore plus lentement dans ses mots.

   - Tu veux dire que courir derrière toutes ces connaissances ne sert à rien... si on n’a pas les chemins d’accès, n’est-ce-pas ?... Et que cela est même dangereux car on produit une grande quantité d’énergie pour « la Force » qui t’a mis dans cette impasse dont tu cherches frénétiquement à te sortir ?

    - Exact! je fais.

 

Il réfléchit.

    - Mais ces connaissances sont pourtant indispensables ? il demande.

   - Oui... Il faut savoir... Mais si cette connaissance te coupe de l’impulsion naturelle de chercher « le chemin », au motif que « Tout est là », tu es dans une galère sans fin...

    - Je comprends, dit-il... Je sens la véracité de tes explications.

    - Ce ne sont pas des explications!... Je fais en colère. Ce sont des mots « vrais » de celui qui témoigne vertement de son mécontentement de rencontrer des connards qui se mettent entre les mains de Forces manipulatrices, sans vérification de leur validité!

 

Il ferme les paupières et ses yeux doux disparaissent; c’est sans les ouvrir qu’il demande:

    - Tu veux dire que ce n’est pas certain que mes visions de Gourou Rimpoché soient le témoignage d’une Vraie Présence... ou une fabrication de cette Force limitative de l’homme que tu appelles « la Force à se faire du mal » ?

    - Non... Tu es en train de défendre ton Gourou... Tu acceptes déjà que celui que tu « perçois » n’est pas le vrai... Donc tu acceptes à priori que le « Vrai » existe et que c’est à toi de Le trouver...

    - Et ?... fait-il en ouvrant les mirettes pleines d’eau.

    - Tu n’acceptes pas d’être seul! je fais.

 

Il remua la tête.

    - Maintenant je comprends ce que veux dire « Être seul », dit-il lentement alors que l’eau coule sur ses joues.

 

Mais c’est un Tibétain... Donc un mec pratique.

    - Alors... Qu’est-ce que l’on fait ?

 

Je n’ai pas beaucoup de cœur au ventre. Ouvrir de telles portes basiques est une douleur et je suis épuisé avant de commencer.

L’image du Roshi est devant mes yeux avec son sourire encourageant.

 

Alors je dis:

    - Nous allons voir cela de près... Cet après-midi après la sieste.

Il me regarde me lever et il dit tristement:

    - Nous sommes des ignorants, n’est-ce-pas ?

 

Je le regarde.

    - Non, pire!... Des gens qui n’ont pas voulu « regarder »!... Et vous vous êtes construit une jolie vallée de rêves dans laquelle vous tentez d’attirer du monde...

    - Pourquoi ? demande-t-il, avec des yeux étranges.

  - Parce que vous avez besoin de la nourriture de ceux qui s’excitent avec vos connaissances sans support.

    - Alors nous sommes cette « Force » qui se nourrit d’eux... est-ce cela que tu veux dire ?

    - Oui... Chacun qui ne libère pas « l’espace » est cette « Force », dis-je fatigué.

 

Il a du mal à digérer l’info, le vieux.

    - Alors, pourquoi m’aides-tu ?

    - Parce que tu vas mourir... et les voiles vont partir...

    - Ainsi je comprendrai en direct cela, n’est-ce-pas ?

    - Oui, en direct... Pas à travers les « connaissances » de la mémoire.

    - Alors pourquoi « ouvrir » mes mémoires comme tu le fais ?

    - Pour gagner du temps et te préparer... Pour que tu ne sois pas trop surpris devant ce qui va jaillir devant toi.

 

Il a besoin encore d’un peu de temps.

    - Comme un combattant... L’entraînement et la répétition avant le combat, n’est-ce-pas ?

Et après ?... Après que les voiles seront déchirés ?

 

Je reste un moment devant lui, mes mains dans les poches de mon blouson.

    - Après ?... Je ne sais pas... Il faudra que je t’accompagne...

    - Et tu ne sais pas comment faire, n’est-ce-pas ? demande-t-il soucieux.

    - Oui... Je ne sais pas...

    - Tout va dépendre de moi, n’est-ce-pas... comment je vais réagir ?

   - Comment tu vas agir... Tu sais, la « vie », ça va très vite... Mais la « mort » encore plus vite.

    - Alors tu me prépares, n’est-ce-pas ?

    - Oui.

 

Il ferma les yeux dans le silence et il dit doucement:

    - Et tu désespères de moi, n’est-ce-pas ?

 

Il est triste. Pas pour lui, mais pour moi. Il ne veut pas me faire perdre mon temps.

    - Non, je ne désespère pas de « toi »... Tu me surprends, tu es un « Grand »... Mais dans quelle culture limitative tu es!... Alors quels seront tes réflexes au moment du combat ?

    - C’est pour cela que tu es si inquiet ? demande-t-il.

    - Oui.

    - Pour moi ?

    - Pour nous deux, je dis.

 

Il laissa le temps passer et il demanda:

    - Que vas tu faire, maintenant ?

    - Maintenant ?

    - Oui.

    - Je vais retourner au temple de Katmandou avec toutes les sculptures montrant toutes les manières de pénétrer la Femme... Dis, je fus étonné!... Ils utilisent même les animaux!... C’est pour cela que tu avais peur pour ta fille ?

 

Il éclate de rire.

    - Tu es celui qui fait exploser tous les espaces!... Mais dis-moi, pourquoi es-tu tant intéressé par ces sculptures ?

    - Mais c’est évident! je fais.

    - Pas pour moi.

    - Mais... L’accouplement est l’Art de la Pénétration du Ciel dans la Terre... L’Art Divin par excellence!

 

Il laisse mes mots tracer leur chemin dans son cœur. Il a commencé à comprendre que je suis un grand paresseux et que je n’ouvre la bouche que par indispensabilité.

    - Tu veux dire que savoir être pénétré, est savoir se nourrir ? demande-t-il.

    - Tiens, Pépère!... Est ce que tu deviendrais intelligent ? 

Il ne retient pas mon interruption et il continue:

    - On reçoit la Force de celui qui pénètre, n’est-ce-pas ?

    - Oui.

    - Alors si je me laisse pénétrer par des visions et connaissances sans support, je deviens aussi cela: sans support... n’est-ce-pas ?

    - Oui... Tu flottes et tu cherches à te fabriquer des ailes.

    - Et fabriquer des ailes prend du temps, n’est-ce-pas ?... Et pendant cet effort, tu produis une grande quantité d’énergie qui revient et est la nourriture de celui qui t’a mis dans ce nuage, n’est-ce-pas ?

    - Oui.

Alors il dégage une énergie énorme et la chaleur et la lumière envahissent la pièce:

    - Je comprends maintenant le dernière phrase de Gourou Rimpoché: « Je pars avec ma seule Amie, la Vue Droite sans Effort »... Alors il ne reste plus qu’à chercher le « chemin d’accès » à ce lieu d’où cette « Vue » provient... et ne plus perdre mon temps à organiser les « fruits »... dit-il de sa voix douce qui avait repris son rythme.

Je souris la bouille ironique.

Il me fixe, sentant encore une embrouille par derrière. Il commence à me connaître.

     - Est-ce-que tu voudrais aussi me dire que cette « Vue » ne vient pas du même espace que le « Mouvement » ?

Je souris encore plus ironique.

    - Et que le « fruit » est la conséquence de l’accouplement entre les deux ? continue-t-il.

C’est un « Grand »! Il comprend vite. Son Intelligence Intuitive met le turbo.

   - Et si maintenant il n’y a pas de « Fruits » vrais, selon tes mots, c’est que ces deux Forces ne s’accouplent plus correctement, n’est-ce-pas ?...

Je lui montre les dents plus blanches que le blanc.

    - Donc il y a une séparation ? demande-t-il en confirmation de ses intuitions.

Je mange l’air devant lui et mes dents claquent sur la saisie du vent.

   - Alors il y a une rupture quelque part dans le fonctionnement harmonieux de l’Univers, continue-t-il.

Il sourit de mes pitreries qui sont des confirmations sublimes de ses mots.

    - Alors qui a rompu le pacte d’harmonie ? demande-t-il soucieux.

 

Comme je suis un grand humoriste, je lui lance par dessus mon épaule lorsque je passe la porte de sa crèche:

    - Pose-toi donc une question essentielle, Tonton!

    - Laquelle ? il demande encore assis sur sa banquette.

    - Qui est l’Homme ?... Qui est la Femme ?...

 

Il reste la voix bloquée et j’en profite pour faire ripette du monastère.

 

 

 

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