Onzième Mouvement.

 

Le Désordre n’existe pas.

 

 

Un des moines envoyés à la recherche de Heidi était revenu au monastère.

Il a descendu en courant la vallée, le sac léger bien ancré sur ses épaules musclées. Au premier embranchement, il a su poser la bonne question:

« Je cherche une jeune femme qui porte en elle une Force si extraordinaire qu’on est obligé de la sentir... Savez-vous par où elle est passée ? ».

 

Il reçut cette réponse des vieux qui se doraient au soleil sur le bord du pont de la rivière car le soleil donnait son plein ce jour-là.

« Une seule a cette Force dont tu parles... Elle chante et ouvre les cœurs... Elle est partie par là... Et si tu la rencontres, dis-lui « merci » pour nos vieux rhumatismes qui vont mieux depuis son passage ».

Le moine sentit son cœur en joie et l’effort de sa course disparaissait à chacun de ses nouveaux bonds.

La lune pleine donnait la lumière à ses pas. Il ne chercha pas un refuge dans une auberge. Son refuge était cette chaleur et cette joie dans son cœur depuis qu’il suit les pas de Heidi. Il la sent en chacune de ses respirations.

 

Il ne répondait pas lorsque dans les villages on lui lançait:

« Mais après quoi tu cours aussi vite, moine ? ».

La nuit fut sa course. Sa course fut sa nuit.

Le vent glacial se leva et l’accompagna jusqu’au petit matin.

 

Une auberge l’accueillit un couple d’heures. Il reçut la soupe chaude et il s’allongea sur la banquette.

Le jour montant le remit sur ses jambes souples et il reprit sa course rapide sous l’œil étonné de ces paysans qui ne savaient pas ce que veut dire « être pressé ».

 

Il arriva au gros village suivant lorsque le soleil donnait son plein. Il aperçut la silhouette de Heidi devant lui qui avançait d’un pas rapide.

Son cœur sauta de joie et il mit toutes les Forces en lui dans son ventre qui commandait ses longues jambes.

 

Puis la jeune femme s’arrêta net et il rompit ses pas.

Tout en lui, lui disait qu’il ne devait pas aller plus loin.

 

Il suivait les yeux de la jeune femme. Il vit la fillette tomber.

Il resta derrière elle. Il reprit ses pas avec elle.

 

Ses yeux coulaient pendant que la main guérissait; il ressentait cette guérison dans son corps car c’est cela que la jeune femme fit avec eux tous au monastère. Mais elle avait une autre manière de poser sa Force sur le cœur et ils ne l’ont pas compris. C’est maintenant que l’évidence de l’action de la Force est en son esprit et son cœur et que son corps vibre de toutes ses fibres.

 

Il se recula lorsqu’elle se dissocia du groupe.

Il se cacha dans une encoignure de porte lorsqu’elle alla se laver les mains à la fontaine.

Il ne l’appela pas lorsqu’elle passa devant lui, le sac de nouveau sur le dos.

 

La tristesse qui sortait de tous les pores de la jeune femme était une interdiction à aller vers elle et la toucher.

Il fallait la laisser seule. Il le savait dans toutes les fibres de son cœur et les mots de la fillette le confirmèrent.

 

Il avait un message à lui remettre de la part du Roshi.

Pour la première fois de sa vie de moine dans ce monastère, il sentit qu’une Force était plus grande que de remplir une mission ordonnée par le Maître.

 

Alors il suivit la silhouette jusqu’à ce qu’elle disparaisse au-delà du coude de la route.

 

Puis doucement, il se retourna et vint porter les nouvelles au Roshi.

Il n’avait aucune peur des reproches de n’avoir pas délivré le message. Une Force plus grande que la peur était en lui et lui donnait la Puissance de savoir dire « non ».

 

Il ne comprenait rien à ce qui lui arrivait. Il ne se reconnaissait plus. Mais très curieusement il commençait à se découvrir et s’aimer... et il ne savait pas pourquoi.

 

Il remonta la piste et laissa la raideur de la pente guider ses jambes. Il ne poussa rien dans son ventre.

Les gens étonnés le regardaient revenir comme un petit vieux fatigué qui poussait chaque pas l’un après l’autre contre le vent glacial.

 

Lorsque les bois de la palissade du monastère furent devant lui, il avait usé trois jours du temps des hommes.

 

La porte s’ouvrit devant lui.

Lorsqu’il courba le cou pour passer sous le linteau, il sentit une main rude lui tenir les tendons de la nuque et le maintenir sous sa force.

Il continua à sentir les doigts serrés sur son cou tout en prenant la sente à travers le jardinet du Maître qui l’attendait dans son pavillon car un moine était venu lui apporter la nouvelle lorsqu’il l’a aperçu sur le chemin de roche descendant au monastère.

Le Roshi l’écouta avec son cœur car les mots glissaient dans son corps sans s’arrêter aux oreilles. Il avait les yeux clos par ses paupières tombées. Il ne faisait aucun effort. Il écoutait la Force de la jeune femme portée par le jeune moine. Il laissait cette Force agir sur lui comme Elle le voulait.

 

Hiro écoutait lui aussi. Il écoutait avec ses oreilles et son front plissé témoignait de son incompréhension.

Le moine avait une mission!

Pourquoi ne l’a-t-il pas honorée ?

Ce n’est pas à lui de décider ce qui doit être fait, de ce qui doit être remis!

 

La peur n’était pas avec le jeune moine bien qu’il sente la colère montante du Maître de Combat. Être tué, dans l’instant, n’est plus une préoccupation pour lui. Son esprit est porté par son cœur. Il est au-delà de cette séparation entre la vie et la mort.

 

La douleur sur sa nuque persistait. C’était comme une main qui cherche à courber l’Être et l’obliger à baisser la tête.

 

Les oiseaux avaient cessé leur bruit et seul le torrent donnait encore son son.

Très curieusement, le vent avait cessé et sa furie des derniers jours n’était plus que dans les mémoires.

Le monastère retenait son Souffle. Chacun avait vu le retour de l’un des envoyés qui se trouvait maintenant dans le pavillon du Maître!

Ce silence les enveloppa et le jeune moine s’installa dedans, confiant.

 

C’est le Roshi qui leva le voile de l’incertitude. Il dit:

    - C’est bien ainsi.

 

Ses paupières n’ouvrirent pas; la flamme ne passa pas par là, mais le moine la sentit entrer dans son ventre. Le chaud rayonna et il eut envie de pleurer.

 

C’est maintenant qu’il comprit la tension qui contracta son corps pendant le retour. Il y avait deux intelligences en action dans son corps! Il y avait eu un combat, mais il ne s’en rendait pas compte dans l’action. C’est maintenant qu’il sut ce combat, lorsque le Maître libéra la tension par ses mots si simples: « Tout est bien ainsi ».

 

Alors il comprit ce que la Jeune Femme leur avait tant dit durant ces mois:

« Il y a un combat, mais vous ne le savez pas... Alors vous dormez au lieu de vous tenir éveillé pour chacun de vos souffles qui ouvre la vie devant vous ».

 

Il sut alors dans son corps qu’il y a toujours deux Puissances en action et que chacune d’elles tente de faire son travail.

 

Il se sentait si bien au retour, plein de confiance et sans peur!

Seul son corps montrait sa lourdeur et sa réticence à avancer contre le vent coupant le visage de ses lames glacées.

 

Il maintenait cette absence de peur devant le Roshi et Hiro.

Mais son corps recevait en même temps une fatigue qu’il n’avait pas perçue, car ce corps avait aussi une autre habitude: celle de respecter les ordres et de ne pas les remettre en question. Et ce corps-là, sorti de ses repères habituels qui sont ses sécurités, était tendu et inquiet.

Il sut alors que le corps peut être le pire de ses ennemis.

 

Et lui vint dans le cœur cette phrase que la jeune femme leur répétait toujours:

« Soyez très attentif à votre corps... Il peut être votre meilleur ami, comme votre pire ennemi ».

 

Devant leurs regards ahuris, elle avait un jour ajouté:

« Ne le croyez jamais! ».

 

Ils n’avaient pas compris.

Maintenant, lui, le jeune moine comprenait avec son corps ce que cela voulait dire. Il comprenait en même temps qu’il n’est pas possible pour le cerveau de comprendre cette phrase.

Seul le corps poussé à l’extrême a cette possibilité.

 

Et il sut alors que le corps peut être son meilleur ami et il pleura dans cette nouvelle rencontre avec lui-même.

 

Le Roshi leva ses paupières et il dit:

    - C’est à moi d’aller vers elle.

 

Hiro dressa l’oreille. Encore un long voyage pour son vieil ami ne pouvait qu’accélérer sa fin dans le Monde des Hommes. Il est déjà si fatigué!

Puis le Maître sourit au moine et tendit la main vers lui. Le moine s’inclina et la main toucha son front qui brûla.

La chaleur pénétra ses os et son cœur laissa ses doutes s’évanouir.

Il comprit alors que son cœur avait des doutes et il ne le savait pas.

 

    - Merci à toi, jeune chercheur de Vérité, d’avoir eu assez de force pour suivre ton cœur et laisser ton esprit faire son jeu tout seul, dit le vieillard dans la tendresse du Maître qui sait reconnaître les mérites et qui le dit.

 

Le moine sut alors le temps de se retirer et il le fit à reculons comme le veut la Tradition.

Le vieillard le regarda en souriant et il dit:

  - Après avoir été touché par la Force de Heidi, comment peux-tu encore être à genoux ?

 

Le sourire du Maître rassura le moine. Cela n’était pas une condamnation. Juste une constatation que son cœur comprenait.

Alors il se leva et s’inclina devant ce vieil homme qui conduisait leur destinée depuis si longtemps dans la bonté de son cœur.

 

Au moment de passer la porte, il entendit le Maître lui demander de venir de nouveau vers lui.

Étonné, il se retourna.

La demande formulée par le vieillard était douce. Ce n’était pas un ordre; comme une invitation.

 

Alors le Roshi lui posa ces questions:

    - Lorsque tu t’es trouvé en présence de Heidi, comment te sentais-tu ?

    - Rempli de joie, répondit-il spontanément.

Le vieillard haussa la tête. Le moine attendait, accroupi sur ses talons en face de lui.

La deuxième question continua à le surprendre:

    - Lorsque tu es revenu vers le monastère, comment te sentais-tu ?

    - Très bien aussi... Un peu lent, toutefois... comme sans urgence... Mais bien!

 

Le Roshi haussa une nouvelle fois les épaules et il compléta sa demande:

    - Lorsque tu as franchi les portes de ce monastère, comment te sentais-tu ?

 

La question désarçonna le jeune moine et il chercha dans la mémoire de son corps. Puis il dit:

    - Fatigué et triste... avec une main dure qui saisissait ma nuque...

 

Alors le Maître compléta:

    - Et maintenant, devant moi, comment te sens-tu ?

 

Le moine chercha encore dans son corps et dit:

    - Calme et serein.

 

Il n’a pas eu peur des mots vrais. Le Maître lui sourit et il confirma par de nouveau « C’est bien ».

 

Puis il demanda encore:

    - Si tu avais à répondre spontanément à une question sans réfléchir, que dirais-tu ?

   - Quelle est la question, Maître ? demanda le moine sans sourciller devant les yeux du Maître qui le scrutaient.

 

Le vieillard lui sourit comme un vieux père.

    - Ma question est la suivante: où préférerais-tu être: ici ou avec Heidi ?

    - Avec Heidi! lança-t-il dans un élan du cœur.

 

Alors le vieillard lui dit encore « C’est bien ».

Le moine sentit qu’il était le temps pour lui de se retirer. Il le fit doucement.

 

C’est lorsqu’il poussa la porte du jardinet pour la refermer derrière lui qu’il sentit que sa nuque était de nouveau libre!

Il sut alors en son cœur la puissance des mots vrais.

Il sut alors en son esprit la puissance du cœur qui n’a pas peur.

Il sut alors en son corps la puissance de l’esprit sans attente.

 

Curieusement, le vent avait repris sa fureur. C’était comme un tigre qui bondissait pour surprendre l’homme engourdi derrière les palissades de bois.

 

Le vieillard avait les yeux au-delà des crêtes.

Il y chercha le vent glacial pour l’aider à sécher l’eau qui poussait derrière ses paupières.

 

 

Le Voyage dans la Mort.

 

 

Le Rimpo est blafard ce matin et il a du mal à me donner le salut souriant rituel des Tibétains.

Est-ce que son Gourou y serait allé un peu fort cette nuit ?

 

Je m’installe sur le divan en face et les moines arrivent avec le thé et les gâteaux.

Je n’ai pas terminé de croiser mes jambes en lotus qu’il démarre au quart de tour.

 

    - J’ai reçu d’autres Enseignements Essentiels de Gourou Rimpoché, lance-t-il avec la voix chevrotante du petit vieux choqué.

    - Ah bon!

    - Je suis abasourdi de ces visions qui sont entrées dans mon corps.

    - Ah bon!

    - Ce sont des réalités physiques... et pas seulement des visions!

    - Ah bon!

    - Il m’a fait connaître dans mon corps le processus de la Création!

    - Ah bon!

    - C’est terrible!

    - Ah bon!

    - Mais toutes nos structures éclatent avec ces Enseignements Secrets!

    - Ah bon!

    - Mais oui!... Il m’a fait voir que le processus de « désordre » qui existe dans cet Univers est normal et tout à fait naturel!

     - Ah bon!

    - Mais oui!... Il m’a fait sentir dans mon corps le besoin de nourriture de la Source qui est à l’origine de cet Univers.

     - Ah bon!

    - Mais oui!... C’est un aspirateur d’énergie colossal et à côté de cela on n’est vraiment rien... L’homme n’est vraiment rien!

     - Ah bon!

    - Mais oui!... Juste une production de la Source par l’intermédiaire du Mouvement, que l’on appelle l’Amour Universel, afin de fabriquer de l’énergie pour Elle.

    - Ah bon!

 

Il reste un moment à reprendre ses mémoires qui se chevauchent.

 

    - Cela, je l’avais déjà perçu, ce processus de la Création...

    - Ah bon!

    - D’abord la Source qui est une Force colossale avec tous les éléments en potentiel.

    - Ah bon!

  - Ensuite le Souffle qui projette en extérieur de la Source une particule d’Elle dans laquelle tout est contenu.

    - Ah bon!

   - Enfin, le départ du Mouvement qui est la manière de la Source de prendre une forme qui permette de créer.

    - Ah bon!

    - Donc c’est le « Mouvement » que l’on peut appeler « Création »... Une Force à créer.

    - Ah bon!

    - Tout est créé à partir de cette Force du Mouvement... L’eau, les rochers, les arbres... les animaux et enfin aussi les Hommes.

    - Ah bon!

    - Et dans ce Mouvement tout de la Source est contenu.

    - Ah bon!

   - Et dans ce Mouvement selon sa forme originelle, il y a la triangulation entre les hommes qui sont créés... C’est l’expression naturelle de ce que nous ressentons comme l’Amour Originel!... Car dedans nous sentons l’amour en matière et pas seulement en sentiment!

    - Ah bon!

 

Il reprend son souffle qu’il a court.

 

    - Mais Gourou Rimpoché m’a fait percevoir cette nuit que la notion même « d’Amour » est un décodage typiquement humain séparé.

    - Ah bon!

    - Il n’y a pas d’Amour Originel!

    - Ah bon!

    - Il y a seulement une mécanique énergétique en action!

    - Ah bon!

    - La notion même d’amour n’existait pas dans les premiers pas de la Création, c’est-à-dire dans les premiers pas du « Mouvement ».

    - Ah bon!

    - C’est lorsqu’il y a eu une séparation de la conscience de l’homme avec l’Ordre premier de la Création, que la notion d’amour s’est construite dans la conscience de l’homme.

    - Ah bon!

    - La notion d’amour s’est construite parce qu’il a commencé à exister un « non amour » entre les hommes.

    - Ah bon!

 

Il peine dans ses poumons qui réveillent son asthme.

 

    - C’est à cause de leur mémoire! continue t-il.

    - Ah bon!

   - Ils avaient dans leur mémoire l’état de la relation triangulée entre eux, l’absence de jalousie et de concurrence.

    - Ah bon!

   - Alors lorsqu’ils ont commencé à vivre la dualité, c’est-à-dire le combat entre eux et toutes les excitations qui vont avec, c’est à ce moment que la notion d’amour s’est construite.

     - Ah bon!

   - Et cette notion d’amour s’est appuyée sur la mémoire du corps qui l’a enregistrée comme « un paradis perdu ».

    - Ah bon!

    - Alors, pour la conscience nouvelle de l’homme, ce paradis perdu prit les apparences de la Perfection à retrouver.

    - Ah bon!

    - Alors que ce n’est qu’une sensation dans le corps qui se développa en besoin primitif.

    - Ah bon!

 

Il fronce les sourcils à me voir si peu concerné par son verbiage que j’en profite pour vérifier l’état de mes narines et participe avec les mouches à l’envoi de quelques créations sur le plafond qui ne devient pas plus blanc que blanc... vous vous souvenez, cette lessive ?

 

   - Mais est-ce que tu comprends que Gourou Rimpoché m’a montré cette nuit que la notion même d’amour est une fabrication humaine ?

    - Ah bon!

    - Qu’il n’y a pas d’amour dans la Création!

    - Ah bon!

Té!... il est un peu choqué le vieux Rimpo...

Faut dire que la fameuse dilution de l’Être dans l’Amour Universel comme aboutissement de la vie sur Terre, la fusion totale!... qui est aussi recherchée entre les humains et leur « danse » amoureuse plus ou moins excitée...

Bref que ces principes dont il est nourri depuis qu’il est en âge d’ingurgiter, sont en train d’en prendre un drôle de coup dans les ratiches et que bientôt il va devoir demander une audience urgente au dentiste du coin si le matraquage de son Gourou ne cesse pas.

 

Il va d’ailleurs falloir que je demande à ce dernier de mettre la pédale douce car j’ai besoin d’un corps encore potable pour en terminer avec cette mission de fous que m’a fourguée le mecton à barbichette à rallonge qui a la prétention de me servir de Père.

 

Il reprend le crachoir dès que son souffle revient. Il ne peut plus arrêter la diarrhée de ses mots qui se bousculent au portillon au détriment évident de sa santé.

Voyez comment l’esprit se fout complètement du corps!

 

    - Il y a seulement une mécanique énergétique afin d’alimenter le plus possible la Source en nourriture!... Par l’intermédiaire du Mouvement qui est la Force à créer!

    - Ah bon!

 

Il a du mal à encaisser le coup, le vieux.

 

    - Alors il m’a montré que le « dérèglement » de l’homme n’est pas une erreur de sa part!... Que c’est une étape normale dans son évolution pour fournir de plus en plus de nourriture à la Source!

    - Ah bon!

   - Que la séparation de l’état premier de la Création était donc inscrite dans le destin de l’humain car il fallait produire toujours davantage de nourriture pour la Source! répéta-t-il car il était choqué le vieux.

    - Ah bon!

   - Donc que l’état de l’humain « maintenant » est « très bien ainsi » pour la Source et même la Création!

    - Ah bon!

 

Il bloque dans le gosier et je me demande combien de temps il va tenir avec la respiration coupée.

Vous savez combien j’aime les paris!

 

Mais il a du courage et dès qu’un filet d’air revient, il saute dessus.

 

    - Ainsi, il produit une quantité énorme d’énergie dans les guerres qu’il produit... Qu’il y a l’utilisation énorme de la première loi fondamentale dont tu m’avais parlée et que je commence à comprendre.

    - Ah bon!

    - Et dans ces guerres de « pour » et « contre » il y a une production énorme d’énergie qui revient toujours à la Source... Aussi il n’est pas question pour Elle qu’Elle fasse cesser cette manne!

    - Ah bon!

   - Et donc que toute tentative de l’homme pour se soustraire à cet état actuel est encore une production d’énergie pour la Source car cette tentative de sortir de ce comportement réflexe est une « guerre » contre son état naturel du moment!

    - Ah bon!

 

Il reprend du souffle car son asthme s’accélère et une crise est à prévoir pour bientôt s’il ne calme pas le jeu.

Essoufflé, il continue sur sa lancée.

 

    - Mais te rends-tu compte de ce qu’il m’a fait voir cette nuit ?... Il m’a montré que tout ce qui se passe sur cette terre est d’une part normal... et d’autre part très bien!

    - Ah bon!

    - Ainsi l’homme produit une quantité énorme d’énergie, autant en allant en guerre, qu’en cherchant à ne pas y aller!... qui est alors une « guerre » contre lui-même!

     - Ah bon!

   - Et que dans les recherches religieuses qui voudraient revenir à l’état originel de la Création, il y a une souffrance et un travail qui développent une énergie énorme pour la Source.

    - Ah bon!

   - Que toutes les Religions sont des créations humaines issues de la séparation afin de jouer avec la mémoire du Paradis perdu!

    - Ah bon!

    - Alors la Source récupère sur tous les tableaux et tout est très bien ainsi pour Elle!

    - Ah bon!

 

Le souffle lui manque et je le calme de la main apaisante.

J’appelle les moines et leur demande d’installer mieux leur Holiness avec des coussins afin qu’il puisse garder sans effort le dos droit.

Puis je leur dis d’amener du thé nouveau très chaud pour lui... du thé noir sans beurre afin de renforcer son cœur qui joue la chamade.

Ils sont inquiets pour leur Rimpo et ils s’empressent autour de lui.

 

Les bruits de la cour sont avec nous et je porte attention à eux afin que mon énergie ne lui donne pas trop un coup de fouet.

 

Il va falloir d’ailleurs que je cause un peu à Padma car de son espace sans le corps de Bam il ne se rend pas compte de l’état de celui du Rimpo. Aussi, à le sur-vitaminer par ses nouveaux Enseignements, il peut l’amener à passer de l’autre côté avant que nous soyons prêts à l’accompagner... J’attends l’arrivée de la nénette que « moi » d’après nous a promis!... car seule, elle peut sortir Padma de son espace fermé et l’empêcher de pousser trop fort contre ses murs qui pourraient bien lui tomber sur le museau.

 

Je programme donc un petit entretien avec Padma pour ce soir après les dernières pratiques du soir dans le Temple, car nous devons rester un peu discrets. Les moines se posent déjà beaucoup de questions sur la relation de leur Holiness avec moi et ses conséquences. J’ai besoin encore de leur aide deux bonnes semaines après que le vieux aura tourné l’arme à gauche car je dois rester près du corps, même embaumé et dans le lieu de sa mort pour pouvoir toucher l’énergie du vieux dans sa traversée des espaces intermédiaires.

Il faut d’ailleurs que j’en touche deux mots au Rimpo pour qu’il puisse organiser cela avec ses moines.

 

Donc pas trop d’enquiquinements à poser sur la table maintenant car nous allons en avoir assez après.

Mais le vieux veut terminer le morceau qu’il a du mal à avaler.

 

    - Aussi Gourou Rimpoché a complété mon Enseignement d’hier en me montrant que les Forces supérieures de la Création n’avaient aucun intérêt à aider l’homme à ne pas s’enliser davantage dans la séparation.

    - Ah bon!

    - Que cette séparation fut organisée par la Création elle-même!

    - Ah bon!

    - Alors que tout est bien ainsi... Et que c’est seulement l’homme qui a un problème car il détruit chaque jour davantage son espace et s’asphyxie.

    - Ah bon!

 

De nouveau le souffle lui manque et je ne le pousse pas en observant les mouches qui se sautent dessus... Une vie normale de mouche!

 

Il continue lorsqu’il a repris un peu d’air.

    - Mais pour la Création, cela n’est pas un problème!... Le destin de l’Homme n’est pas sa préoccupation.

    - Ah bon!

 

Il a du mal à avaler la pilule.

    - Et que l’Homme est tout seul avec lui-même!

    - Ah bon!

 

Je confirme: la pilule ne passe pas!... Car c’est toute sa vie qui défile dans son inutilité.

 

    - Et que l’Homme ne peut compter sur personne pour se soustraire à ce processus d’éloignement de l’état premier de la Création... Et que même vouloir s’y soustraire est une action qui va produire de l’énergie pour la Source qui se réjouit de cet effort et le pousse à continuer jusqu’à épuisement et sacrifice à travers l’excitation de la mémoire de l’existence du Paradis perdu!

     - Ah bon!

   - Alors l’Homme est en bout de parcours... Mais pour la Création, il n’y a aucun problème.

     - Ah bon!

 

Il devient triste, le vieux, avec ses nouvelles préoccupations.

    - L’Homme est donc sur le point de terminer son parcours nourricier pour la Source!... car son espace est en train de s’asphyxier.

    - Ah bon!

 

La tristesse suinte par tous les pores de sa peau. C’est toute sa vie qui se fait la malle.

    - Que va-t-il donc advenir de lui ?...

 

Le temps reprend son temps comme la respiration du vieux qui laisse aussi le temps à calmer sa douleur.

    - Mais ce que je sais maintenant, c’est que nous ne pouvons pas compter sur l’appui des Forces Supérieures de la Création qui ne sont que des réactions mécaniques à une rupture... De simples médicaments pour la Création modifiée dans son Ordre premier... Mais que cette modification était déjà programmée dès l’Origine car cela était le moyen le plus certain de fabriquer plus d’énergie pour la Source de cet Univers qui en a un besoin constant pour continuer à se maintenir et exister.

    - Ah bon!

    - Alors tout est bien pour la Création!

    - Ah bon!

 

Le temps reprend encore possession de l’espace.

    - Mais tout va mal pour l’homme!

    - Ah bon!

    - Il est au bout de son « Temps ».

    - Ah bon!

 

Le mûrissement est inéluctable et le Rimpo le saisit avec son corps.

    - Il fut créé... Il a rempli son office... Il va disparaître...

    - Ah bon!

   - C’est seulement maintenant une accélération catastrophique qui est en mouvement et l’espace d’action pour « autre chose » que le Mouvement normal est presque réduit à rien.

    - Ah bon!

  - Alors tout est terminé pour l’Homme tel qu’il fut conçu par les pas premiers de la Création.

    - Ah bon!

 

Il reste dubitatif durant de longues respirations et il conclut:

    - Mais souviens-toi ce que Gourou Rimpoché m’a enseigné avant... Il y a maintenant une mutation de l’Homme et il se pourrait qu’il arrive à créer un autre type de vie...

    - Ah bon!

   - Peut-être est-ce une mutation normale pour la Création et que tout le système nouveau restera en Elle.

    - Ah bon!

   - Et si ce n’est pas le cas, la nouvelle mutation programmée sera détruite par la Force de l’Ordre de l’Univers.

    - Ah bon!

 

Il reste encore un moment dans son monologue et il dit:

   - En fait, je ne sais pas ce qui pourrait être le mieux pour l’homme... Rester avec la Création avec sa nouvelle mutation... ou être détruit par Elle.

    - Ah bon!

 

Il reprend ses respirations courtes.

    - J’ai posé la question à Gourou Rimpoché...

    - Ah bon!

    - Mais je n’ai pas reçu de réponse, dit-il, déçu.

    - Ah bon!

    - Ou, peut-être, c’est moi qui n’ai pas compris son silence et son sourire.

    - Ah bon!

 

 

 

 

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