1. La Mort et son Voyage.

 

 

Le départ de Heidi fut un choc pour les Montagnes du Nord. Elles rugirent leur désespoir. Les jours et les nuits hurlèrent le vent glacé qui griffait les visages. Le sang marbrait les chairs et le nez coulait rouge.

La maladie pénétra dans le corps du Roshi. Hiro ne cacha pas son inquiétude: il sentait glisser dans ses mains la froidure de la mort lorsqu’il touchait son ami. Le vide s’y installait chaque jour davantage et sa maigreur n’avait plus de poids.

Les Envoyés de la Mort étaient proches. Leur odeur touchait déjà les narines des os. Ils allaient bientôt frapper à la porte et le vieillard d’entendre cette sentence de l’Univers: « Viens... Maintenant, c’est Ton Temps! ».

 

Le monastère perdait sa Force. Alors chacun comprit dans son corps ce qu’ils entendaient du Maître depuis si longtemps: « Vous êtes dans mon Corps et c’est lui qui vous nourrit, qui vous soutient et vous donne la Vie ».

Ils l’avaient si souvent entendu dans sa bouche!... mais ils ne l’avaient saisi qu’avec leur esprit.

Le Maître n’était pas en colère lorsqu’il disait ainsi. Cela était plutôt un encouragement à être « eux aussi » un corps qui fait vivre les Hommes de la Terre.

Mais il est plus facile de se nourrir de l’autre que de tenter de s’alimenter tout seul… pour ensuite être capable de soutenir l’Univers.

Alors la paresse naturelle est là et cela est normal!... C’est l’habitude de l’homme ordinaire inscrite dans ses mémoires depuis des temps immémoriaux: le Ciel doit être toujours là pour lui... et il le prend comme il veut... et il l’honore comme il veut!

Nul reproche à émettre; la paresse est la compagne de l’homme ordinaire comme le vent est le compagnon de l’air.

 

Parfois le Maître disait: « Vous dormez!... Réveillez-vous! »...

Mais ils ne comprenaient pas. Alors le Maître continuait ainsi: « Vous ne pouvez pas vous réveiller en vous servant de l’effort et de la coercition... ».

Et s’ils écoutaient jusqu’au bout les murmures du vieux et ne fermaient pas leurs oreilles en suivant les méandres de leur esprit, ils entendaient: « Seule la Force en Vous peut mettre en vibration votre naturelle vigilance... Rien d’autre! ».

Et s’ils continuaient à porter une extrême attention aux murmures qui continuaient, ils entendaient: « Comment donc réveiller cette Force qui sommeille en vous ? ».

Et si leur attention entrait dans les mots du Maître et suivait les silences, leur cœur entendait: « Pourquoi avez-vous donc endormi cette Conscience ? ».

Et maintenant ce sont les silences dans lesquels ils entrent, des mots se gravaient en leur cœur et ils les savaient vrais car ils venaient de nulle part. Ce sont des mots qui n’ont pas de passé: « Seule cette Force sauve!... Ai-je assez d’Elle en moi pour réveiller la vôtre ? ».

 

Le Maître était encore un Maître dans le Bam… Sa connaissance de l’Univers n’était pas encore assez profonde; car il aurait su que Sa Présence à elle seule suffisait à réveiller cette Force en celui qui voulait bien entendre son murmure et son vent.

Mais ils étaient avec des endormis qui prenaient ce Monastère comme un refuge à leur paresse... Cela le Maître le comprenait. Alors il avait monté la barre très haute pour être admis en ce lieu... Les demandes remplissaient des caisses!... Il choisissait ses moines avec une attention extrême.

Alors il ne comprenait pas que l’engourdissement puisse les gagner et remplir leur corps et leur esprit.

 

Il les entraînait durement avec le corps; il leur disait: « Utilisez votre corps pour pousser dehors cet esprit turbulent qui vous fait courir derrière toutes les chimères; les rêves et les peurs! ».

Ils travaillaient dur avec leur corps et Hiro, le Maître de Combat, les poussait dans leurs retranchements et peurs les plus profondes.

 

Ensuite le Maître leur disait dans le Dojo de méditation: « Abandonnez maintenant votre corps!... Lâchez-le! ».

 

Ils le faisaient avec force et rage... Certains poussaient des hurlements sous l’effort.

Le Maître leur disait: « N’utilisez pas l’effort!... Tout doit venir naturellement, librement, comme le ruisseau qui coule tranquille entre les herbes de la prairie ».

Alors ils se relâchaient et le Maître constatait avec découragement que lorsque leurs tensions s’amenuisaient, leur vigilance diminuait aussi et ils recommençaient à dormir.

Ils ne connaissaient que la force et la souffrance comme soutien!

 

Un soir, pendant la méditation nocturne, ils entendirent un ronflement: un moine dormait! Mais ce moine restait bien droit dans sa position de méditation. Sa stature se maintenait parfaite, avec le menton rentré dans la gorge, la tête poussant le Ciel et les genoux s’appuyant sur la Terre.

Alors le Maître dit: « Il faut vingt cinq ans d’entraînement pour obtenir ce résultat! ».

 

Le moine chargé de veiller sur l’attitude correcte des postures s’apprêtait à intervenir.

Le Roshi haussa les épaules. Il lui fit signe de rester assis. Pourquoi encore intervenir contre la paresse de l’esprit lorsqu’elle agresse si durement ce lieu d’attention et de silence intérieur ?... 

Rien n’arrive par hasard!...

Le vieux reconnaissait ce sourire du Diable qui arrive à s’insinuer dans les recoins les plus gardés et se moque... sa manière de montrer qu’il est le plus fort et dirige l’homme à sa convenance... qu’il gagne toujours!... car il les tient bien dans leurs réflexes au bien-être du corps qui s’endort dans son confort.

Il raconta cet incident à son fils d’avant. Le jeune Blanc l’écouta avec une attention qui ne lui était pas coutumière. Lui, son habitude est d’avoir le sourire ironique sur les lèvres en l’attente d’entendre la bêtise du siècle. Mais là, il portait une attention particulière aux mots du petit vieux assis sur son coussin devant lui. Il comprenait son interrogation.

 

Alors il dit doucement: « Ceux-là ont oublié que la vie est un combat... et que l’on est en permanence en terrain ennemi... Ils ont perdu leur vigilance! ».

 

Ces mots frappèrent le Roshi de plein fouet et son cœur s’emballa. Hiro qui était aussi là, assis à la droite du Maître, un peu en arrière, comme le veut la Tradition, reçut comme un choc en son ventre les vibrations affolées émanant de son vieil ami. Le Maître de Combat ne comprenait pas ce qui se passait mais il savait que son ami était touché à mort!

Et alors l’impensable se produisit: le Maître s’inclina devant le Jeune Blanc et frappa trois fois son front au sol... Le signe de reconnaissance que l’on est devant un Vrai Maître plus puissant que soi!

La confirmation vint par le vent qui se leva sur les crêtes et donna sa glace sur le monastère.

 

Maintenant que la Mort progressait en son corps, le vieil homme comprenait encore mieux les paroles de son fils d’avant. À ce moment il avait reçu un choc et la certitude qu’il existait une autre Dimension qui n’était pas encore ouverte pour lui, mais qui était la Dimension naturelle de son fils. Il sut qu’il y avait plus puissant que lui devant et il s’inclina comme il se doit car les mots sont insipides pour ces moments d’une intensité insoutenable pour l’esprit.

 

Il comprit qu’il existait une autre Dimension pour laquelle avoir un corps est un danger permanent d’être attaqué et détruit.

Il comprit que dans cette Dimension, on est toujours en extrême vigilance, comme celui qui doit traverser un champ miné.

Il comprit cette extraordinaire attention de Celui qui sait qu’il est toujours en terrain ennemi et regarde chaque chose avec une extrême vigilance.

Il comprit la tension permanente de son fils et la souffrance qui tendait son corps comme un arc raidi à l’extrême car il n’y avait nul endroit pour se reposer!...

Il comprit que son fils se savait en danger constant car il était porteur de cette Intelligence que la Terre voulait tuer pour continuer à exister selon son propre mouvement.

Il comprit que la Mort est la compagne de son fils, une présence permanente.

Il comprit le sourire ironique constant de son fils... Lorsque la Mort soudaine sera la seule réalité et la seule certitude, rien n’est sérieux!

Il comprit encore plus!... Beaucoup plus...

Le vent des crêtes entra dans sa tête et les os du crâne gémirent.

 

Mais c’est « maintenant »... Maintenant que Heidi est partie qu’il comprend le sens profond des mots de son fils d’avant qui avait continué et lancé ces sons graves dans le vent hurlant: « Ils ne savent pas qu’ils rêvent !».

 

Et maintenant, sur sa couche moite bien que la froidure soit terrible et que le vent glacial entre partout et pénètre sous les couvertures, il en comprit le sens caché et il saisit la tristesse de son fils d’avant et de son fils de maintenant.

 

« Mes moines sont dans un rêve!... C’est cela leur engourdissement!... C’est cela l’origine de leur engourdissement! ».

Et il comprit que ce rêve, c’est lui qui l’a fabriqué!

 

Il a voulu mettre la barre très haute pour entrer dans ce monastère. L’entraînement du corps et de l’esprit sont d’une rigueur qui fait frémir les plus hardis. La mort est la seule conclusion à la faiblesse...

Mais ils sont dans un « rêve »… Celui d’être extraordinaires!... Celui d’être spéciaux!... Celui d’être dans la certitude de rejoindre le Bouddha et sa Nature!

Et c’est lui qui a tout organisé et validé!

 

C’est lui qui a tué son fils d’avant... car il lui a demandé d’avoir confiance en lui... Et ce jeune Blanc cherchait à aimer les hommes et les aider... Alors, conscient de ses imperfections dans la connaissance des hommes, il lui avait fait confiance, à lui, son Père... Et lui, il a continué à l’encourager à aider cette Anne de Suisse... Alors que son fils lui disait tous les reculs de sa conscience et de son corps... Mais il a continué et sa mort dans le Bam en fut la conséquence normale.

 

Mais l’autre conséquence encore plus grave, c’est que le Yam de son fils d’avant a perdu confiance en la possibilité de changer le Bam... Il a su que le mensonge était permanent et que l’on ne pouvait rien changer maintenant... Et qu’il était impossible de faire confiance... Même à Lui, le Maître... Celui qui l’avait sauvé du torrent... Car il l’avait sauvé pour qu’il utilise ses Pouvoirs pour aider le Bam!... Et lui, le Maître, ne savait pas alors que le Bam est un menteur... Donc un voleur!

 

Alors son fils d’avant est revenu car il s’était laissé piéger par un rêve du Bam. Alors il restait accroché au Bam. Il devait revenir! Cela est la Règle karmique de la réincarnation.

Mais il revint, non comme un Yam qui a destination de se servir du Bam et l’aider à vivre selon les Règles de l’Univers, mais comme un Yam qui vient détruire la relation mensongère entre Bam et Yam afin que Bam ne puisse plus continuer sa manipulation sur son partenaire dans la constitution de cet Univers... Et laisser Bam seul... Ce qui sera sa fin.

Et ce Yam-là, ce très spécial Yam-là!... Il a la possibilité de se propulser dans le « Rien »... Et ainsi se termine la ronde des incarnations…

 

Et enfin il comprend dans son corps que c’est le Bam poussé à l’extrême qui a la possibilité de se propulser dans le Yam.

Et que c’est le Yam extrême qui refuse de continuer à participer à cet Univers avec ce Bam menteur et voleur, qui se propulse en « Rien ».

Alors maintenant, il comprend dans sa chair le rêve qu’est ce monastère.

Il comprend le refus de son fils de maintenant d’y participer.

Il comprend le rêve qu’il avait fabriqué pour Heidi d’attirer son fils de maintenant à travers elle.

Il comprend que la jeune femme fut poussée à quitter ce lieu dans lequel se fabriquait le rêve aliénant qui allait immobiliser Celui qu’elle aimait.

Il comprend Heidi qui place maintenant son corps dans un autre espace... et son esprit en son fils de maintenant.

 

La sueur sort de sa peau et mouille les draps. Les moines autour de lui chargés de veiller appelèrent Hiro qui crut le dernier soupir venu...

 

Il resta trois jours dans un état qui leur semblait un coma. Le monastère se préparait aux funérailles et les moines récupérèrent les bois morts près du torrent pour le bûcher.

 

Puis, le quatrième jour, il ouvrit les yeux. Il les regarda tous, comme s’il les découvrait un à un. Ils eurent peur de la folie!

« Vous avez vraiment peur de tout! souffle-t-il ».

 

Ils tendirent l’oreille et ils perçurent d’autres mots: « Vous ne voulez que la sécurité! ».

Puis les derniers souffles furent: « Et moi je vous y ai aidés! ».

Ils entendirent ces murmures. Ils ne comprenaient pas. Ils avaient peur.

Puis, Hiro perçut au fond des yeux de son vieil ami, cette flamme ironique qu’il connaît si bien; alors il lâcha sa respiration qui fit un bruit de forge.

- Il va bien! dit-il.

 

Les moines se retirèrent. Ils allaient porter la bonne nouvelle!

Seul Hiro resta auprès de lui.

 

Le Maître lui souffla:

    - Va chercher le Livre très secret de mon fils d’avant.

   - Celui qui a une couverture en feuille d’or ?... et qui est caché dans le coffre de la muraille ?...

    - Oui... Celui-là, continua le Roshi dans un souffle.

 

Lorsque Hiro revint, il caressa le livre d’or. Le métal lisse conduisait sa vibration dans ses bras. La noblesse entrait en son cœur.

Alors il ouvrit l’ouvrage et le premier feuillet disait en la couleur du sang:

 

« Le Voyage dans la Mort »

 

Puis en-dessous, en lettres d’or, il était inscrit:

 

« Ou la Danse en trente-deux mouvements ».

 

Hiro regardait son vieil ami. Un espoir de vie était en lui et cela lui suffisait pour être heureux. Tous ces jours il avait perçu, comme les autres moines que, sans le Maître, ce lieu était mort et vide. Ils avaient compris que personne n’était là pour prendre sa place. Tong avait baissé la tête. Il savait maintenant le degré de son orgueil de s’être cru « spécial »...

 

Pour le Maître cuisinier, le Guérisseur et le Maître de Combat, il était suffisant que le Maître continue à être le Maître et il ne demandait rien d’autre. Il ne demandait rien de plus... que la vie continue en ce corps vieilli et maigre!... Que la vie reste encore là pour quelque temps encore!... Cette Présence était leur nourriture. Ils en avaient besoin pour continuer à se découvrir « eux-mêmes ». C’était cette Force qui provoquait leur Intelligence dans leurs cellules et leur permettait de comprendre ce qui se passait en eux. C’est leur Lumière. Sans Elle, ils n’ont pas assez d’éclairage dans leur conscience.

 

Alors ils ne demandent rien d’autre que « Reste avec nous!... Nous te prions... ».

Mais ils ne savent pas que c’est souffrance pour le corps qui reste.

Ils ne savent pas que tout est décidé en « indispensabilité »... et que ce n’est pas le corps qui décide.

Ils ne savent pas que le jeu est cosmique... que le mouvement est spatial!... Que la Décision est inscrite dans l’Univers avant que leur cerveau comprenne.

Alors ils sont là avec leur demande dans leurs yeux et dans le cœur. Ils sont prêts à tout pour porter, nourrir et protéger ce corps. Ils sont prêts à tout donner!

Le vieillard caressa le livre d’or. Il avait maintenant à en faire la lecture pour l’Univers tout entier et chacun comprendra ce qu’il sera capable de vivre car rien ne peut manipuler l’homme qui choisit ses voies. Rien ne peut s’opposer à la structure de base que la structure elle-même qui comprend son imperfection et veut cesser avec elle.

 

Maintenant il sait que seul le Bam peut sortir du Bam et il cesse de combattre.

Il a à dire et être, seulement!

 

Alors il ouvrit sur le second feuillet et il déchiffra les mots avec ses yeux vieux qui ne voulaient pas de lunettes. Il voulait être en direct avec les écritures! Alors il mit les lettres devant ses yeux, presque contre eux, et il commença.

Il égrena les lettres une à une et Hiro s’assit à son côté. Il perçut que tout l’Univers Bam s’asseyait à son côté et l’écoutait.

 

Le Voyage dans la Mort.

 

Le Maître avait fait revenir son fils de son Ermitage au-delà des crêtes.

Il était soucieux et son visage ridé portait quelques plis de plus ce soir-là; ils étaient dans la Salle Secrète du Monastère, creusée dans la paroi. Le torrent donnait son rugissement rugueux au creux du précipice.

 

Le Roshi prit son temps. Il examinait son propre cœur. Il voulait en donner les traces à son fils.

    - Ce n’est pas une nouvelle mission pour toi, mon fils... mais un service que je voudrais rendre à un vieil ami qui est proche de la mort.

 

Le jeune homme écoutait sans son habituel sourire ironique car il percevait une gravité dans l’énergie du vieil homme. Cela n’était pas dans les habitudes du Roshi de porter une telle préoccupation.

 

    - C’est un vieil homme qui m’a beaucoup aidé dans ma jeunesse et il vient me demander mon aide car il est inquiet devant ce voyage dans la mort qui est maintenant devant lui... Aussi j’aimerais que tu acceptes de bien vouloir l’aider, dit-il.

 

Voilà une entrée en matière qui n’est pas dans les habitudes du Maître qui commande la terrible et redoutable Famille Shin. Normalement, il ordonne et on obéit... si bien sûr on ne veut pas demander direct à Saint Pierre d’ouvrir la porte du Paradis sans avoir passé l’examen de passage habituel.

 

    - Donc il a les chocottes, je fais, histoire de l’aider à sortir le saucisson qui lui bloque le gosier...

 

Car c’est clair qu’il y a une denrée pas très fraîche derrière ces préambules très asiat...

Pour une fois, le vieux qui a la prétention de me servir de Père ne relève pas mon vocabulaire à l’emporte-pièce et ne me remet pas dans mon rôle de fils qui doit respecter son Père selon les Traditions millénaires de tous les pays du monde.

Cela témoigne de son souci et je commence à m’inquiéter sérieusement du problo qu’il va me servir sur les guiboles.

 

    - Il a plus que les chocottes, comme tu le dis si bien... C’est beaucoup plus honorable!... Il est très préoccupé, dit doucement le Maître.

    - Préoccupé de quoi ?... Il va passer l’arme à gauche comme tout un chacun un jour ou l’autre, même si on n’est pas pressé... Alors où est le problo ? je fais.

 

Le Roshi cherche les mots et je commence à serrer les fesses car je sens arriver un truc pas ordinaire... Et comme dans cette sacrée Famille de Fous, tout est déjà extraordinaire, il va y avoir une sacrée surenchère que je sens venir rapido.

 

  - Voilà... C’est un très grand spirituel... Très grand dans sa branche puisqu’on le reconnaît comme « Une Sainteté »... et qui a des intuitions ces temps derniers qu’il a peut-être perdu du temps et n’a pas cherché vraiment la Vérité de chaque chose, son origine... comme ses conséquences.

    - Donc il se fait du mouron pour sa santé et sa nouvelle réincarnation ?...  je fais.

 

Le Roshi prend encore son temps avant de suivre mes mots et de relancer les siens. Pas clair, cela!

 

    - Plus que cela... Il se demande s’il ne s’est pas fait piéger sa vie durant par la Grande Tradition dans laquelle il est, dit doucement le Roshi.

    - Et, en tant que « Sainteté » il a peut-être été un magnétophone pour une flopée de gus qui vont lui demander des comptes au final de leur vie lorsqu’ils vont se rendre compte de l’escroquerie... et donc votre copain a le thermomètre à zéro car il va devoir payer une drôle d’addition pour sa vie future.

 

Le vieil homme sourit dans la tendresse de son cœur en visualisant son ami allongé sur sa couche.

 

    - Il est plus grand que cela... Il n’a pas peur pour lui... Il a peur pour les « autres » car il rechercha toujours à les aider et il ne peut pas admettre que ce ne fut peut-être pas le cas...

    - Et si cela n’est pas le cas, il voudrait réparer ? je demande, étonné.

    - Oui, dit le Maître... Il est assez fort pour cela... Il a assez de pouvoirs...

   - Mais comment il peut faire puisqu’il sera mort, je fais en me sucrant d’un gâteau sec, vous savez ?... ceux qui vous cassent les ratiches au point que cela fait la fortune du dentiste du coin qui nous remercie chaque jour d’en continuer la fabrication en nous envoyant des chocolats fondants.

 

Je mastique dur afin de montrer au vieux de mon « souci de maintenant »... histoire de lui dire de remettre à plus tard le « sien », car son petit sourire en coin ne me dit rien qui vaille et je voudrais profiter encore de quelques secondes avant de devoir avaler le pruneau qu’il me prépare.

 

Le Roshi ferma les yeux et lorsqu’il les ouvrit il y avait une drôle de flamme qui pénétrait dans le jeune homme en face de lui qui frissonna.

 

    - Allez!... Ne tournez pas autour du pot... Lancez la purée! je fais.

    - Voilà... Tu vas être son Joker, dit le vieux.

 

Le jeune Blanc laissa le temps venir. Pas la peine de se précipiter devant les grosses emmerdes qu’il sent arriver à vitesse supersonique.

 

   - Tu vas donc faire ce voyage dans la mort avec lui, dit le vieux avec sa voix la plus normale.

   - Rien que cela!... je fais.

   - Rien que cela, confirme le Maître avec son sourire de cher papa qui donne une friandise à son fils adoré.

 

Le silence emplit la Salle Secrète et les deux hommes lui laissèrent prendre tout l’espace qu’il voulait. Ni l’un ni l’autre n’avait l’envie d’aller plus profond dans les mots les entraînant dans une Dimension de Folie pure: un voyage dans la mort!

 

C’est le fils qui reprit les mots et qui demanda:

    - Et bien sûr, je suis sensé revenir... Et foutre mon bordel habituel!

    - Pas tout à fait, dit le Maître... Tu reviens, cela est clair... Mais le bordel, tu le fous dans l’Espace de la Mort.

   - Du très fastoche! je fais, avec le sourire en coin du mec qui est certain qu’il vient d’entendre la connerie du siècle et qu’il va falloir demander une inscription d’urgence dans un hôpital psy pour le petit vieux en face de lui.

 

Le Maître sourit finement dans sa barbichette que pour une fois il n’a pas entortillée autour de ses testicules.

    - Pour toi, c’est du facile, comme tu le dis... Tu es si peu sérieux avec la vie que tu peux l’être aussi avec la mort.

 

Le vent rugit dans l’abîme et tapa contre les vitres et le roc.

Le jeune homme laissa le son glisser autour de lui et il lui sourit lorsqu’il lui caressa les oreilles.

 

    - Donc je l’accompagne dans son problo ? je fais.

   - Et tu l’aides à mettre en place une nouvelle réincarnation de qualité, dit le vieux.

 

Le jeune Blanc reste en silence et dit:

    - Donc je l’aide à avoir un avenir qui tienne la route pour la Création... Et bien sûr, je reviens intact du voyage pour prendre le thé et les petits gâteaux avec vous.

    - Tu as tout compris... et comme je suis heureux d’avoir un fils si intelligent!

 

Ange prit un moment avec ses respirations. Tout compte fait, quitte à être fou, le mieux est de l’être complètement!... Et lui qui a poqué tant d’imbéciles dans la vie ordinaire des hommes, il peut aller faire la même chose de l’autre côté. Poquer dur ces « déités » chargées d’aider l’homme sur terre et qui se dorent le nombril au soleil, et leur rappeler leurs obligations, ça lui botte.

    - Et je vais où ? je demande.

   - Au Tibet, dit le Roshi... Ou du moins, au Népal puisque tu sais malgré ton ignorance que la Chine...

    - En plus, c’est un Tibétain, votre copain!

    - Oui, dit le Maître souriant.

    - Les pires!

 

Le jeune homme termina sa tasse et n’en demanda pas une autre; il cogitait.

    - Comment faire ? demanda-t-il.

 

Le Maître sourit. Il ne voulait pas dire la vérité à son fils car il avait peur de ses mots. Il avait eu un rêve intense qui lui disait que son fils avait la Force et le Pouvoir de ce défi suprême: vaincre la Mort. Et dans ce rêve, il y avait toute la puissance de l’Être Énergétique qu’est l’entité de Bam qui disait que l’Homme a besoin de savoir comment faire et que son fils pouvait le montrer.

Il y avait maintenant plus de douze ans que son fils était avec lui. Il avait vaincu tant d’obstacles de la vie ordinaire. Il avait réussi tant de missions!

Le Roshi savait déjà depuis si longtemps qu’il était supérieur à lui et qu’il avait encore et encore et encore à enseigner les hommes sur les relations subtiles du Bam...

Alors il se décida à demander à son fils. Mais il ne savait pas très bien si cette demande venait du Bouddha ou du Diable qui voudrait connaître les lacunes dans son système d’aliénation de l’homme afin de les corriger et parfaire sa mainmise sur le devenir de l’Humanité.

Il ne savait pas très bien!... Alors il demandait, et il voulait espérer que son fils serait assez fort pour percevoir le danger et s’y soustraire.

 

    - Je ne sais pas, dit le Maître.

 

Le jeune homme l’observa et fronça les sourcils.

    - Si vous n’avez pas la solution, c’est qu’il y a une grosse merde dessous, dit-il doucement.

     - Je ne sais pas si cela est une « merde » comme tu le dis... Mais je sais que là il y a un sacré défi.

    - Un défi « sacré » ?

 

Le vieil homme sourit et il lui dit:

    - Je ne sais pas... Alors méfie-toi, mon fils.

 

La tasse était vide de thé. Le jeune homme se leva. Il était soucieux.

Le Maître regarda sa mince silhouette se perdre dans l’ombre du couloir creusé dans la roche et qui montait dans le Temple.

Il ne savait pas s’il allait un jour revoir son fils.

Il ne savait pas s’il jouait pour le Bouddha ou pour le Diable.

Mais l’homme courageux va toujours voir et il décide!

 

Donc j’arrive à Katmandou, avec le plane. Belle réception de moines en robe et courbettes à n’en plus finir devant le grand magicien qui va aider « His Holiness » à survivre pour le plus grand bien de la lignée...

Le seul intérêt de leur présence est que je ne perds pas le temps avec les formalités et leurs fameux visas à plusieurs tarifs... Direct la crèche du vieux.

 

Le vieux est plus que vieux. Un vieillard!

Il a oublié de maigrir, à faire leurs pratiques d’accumulation qui vous font prendre cent quarante kilos en un tour de main. Aussi, comme il est allongé, je lui tapote le bide en guise de baiser de bienvenu et je lui dis:

- Ça ne va pas fort, hein tonton!

- Limite! il me fait en souriant de mes manières alors que ses moines se frappent le front au sol, choqués de mon comportement avec leur « Sainteté ».

 

Il n’a pas bonne mine, le vieux. Et je perçois autour de lui toute une énergie de merde qui lui perturbe le système.

Au sourire qu’il me donne pendant mon examen, je constate qu’il sait dans quelle merde il est... et tout « His Holiness » qu’il est, il a besoin de la main d’œuvre étrangère pour lui faire de l’air, car il se pourrait que toute cette pourriture vienne de ses copains dont il s’est tant occupé toute sa vie.

 

Aussi à la constance de son sourire bienveillant, je sais qu’il apprécie ma manière directe. Il saura dire à ses moines de mettre la pédale douce avec moi car j’ai des capacités au-delà de l’apparence... et donc qu’ils ne s’arrêtent pas à mes actions un peu brusques... et me témoignent le respect attaché à mes Pouvoirs... et m’aident en toutes circonstances sans chercher à comprendre.

- On commence ce soir, je fais.

- Crois-tu que je sois en bonne préparation ? me demande-t-il.

- Demain ne sera pas meilleur que maintenant, je fais.

- Je suis donc dans un état si grave ?

- Tout dépend de ce que tu nommes grave! je fais.

- Vais-je passer de l’autre côté rapidement ? soupire-t-il.

- Oh!... Le formulaire n’est pas encore complètement rempli, je fais... et à la cadence de leur stylo, je crois que tu as encore quelques jours à te languir dans ce paradis terrestre, je fais.

 - Merci, dit-il en souriant du fond de ses prunelles...

Nous nous sommes compris.

Il appelle un moine âgé et il lui parle à l’oreille en me regardant. L’autre opine du bonnet presque rasé et fait signe qu’il a compris.

Il s’en retourne vers les autres et leur refourgue l’info divine qui vient de tomber dans ses oreilles. Ils font des signes de compréhension qui sont ceux de la guenon qui accepte les propositions du gorille. D’abord interrogatrices, les faces deviennent de plus en plus souriantes.

Bref le vieux a mis les choses au point avec ses moines et tout baigne dans le beurre rance de yak.

 

Le vieux, il a fermé les gobelets sur ce monde. Il attend ce soir.

Il a compris le problo et il garde ses forces.

 

Les moines m’installent dans une carrée large et aérée. Lit une place comme il se doit dans un monastère, et la bouilloire électrique pour préparer le thé à ma convenance, car pour ce qui est du leur, avec le beurre rance de yack, il faut un estomac plus accroché que celui des alpinistes sur les parois vertigineuses de l’Himalaya!

 

Une petite sieste et ensuite rapide visite à la Stupa fameuse de Bouddha Gates « quelque chose », vous savez comment je ne retiens pas les noms!... qui se trouve à quelques encablures... Et le tout accompagné par trois moines qui iraient jusqu’à se mettre à quatre pattes pour enlever la poussière devant mes godasses et qui disent tant de choses sur moi que tout le monde me regarde avec les grandes mirettes ouvertes max et que je sens venir le temps des autographes!

 

Puis un dîner tout à fait honorable et j’aime ce type de bouffe simple, directe et sans chichi. Je le leur dis et ils sont contents.

D’ailleurs, une des particularités des Tibétains, c’est leur sourire. Ils l’ont en réflexe sur leur bouille. Lorsque vous arrivez vers eux, ils ne sont pas comme ces occidentaux qui froncent les sourcils avec leurs yeux qui disent déjà avant leur langue: « Qu’est-ce qu’il vient ici nous emmerder, celui-là ?! »... Non, les tibétains, c’est l’inverse. Ils vous regardent venir avec le sourire heureux de celui qui est content de partager un moment avec vous.

 

Donc vous comprenez illico, intelligents comme je vous connais, que j’efface de ma face mon fameux sourire de celui prêt à entendre les dernières conneries du siècle, et je me décontracte... Ici, nous sommes entre gens sérieux qui aiment la vie et les autres.

 

C’est donc dans cette disposition d’esprit et de corps que je me pointe le soir à la chambre du Rimpoché... Puisque le mec c’est une « réincarnation » d’un grand mec d’avant... Peut-être que je ne vous l’ai pas dit!...

Mais informé comme vous êtes, vous aviez déjà compris puisque vous savez que dans la Tradition Tibétaine, il n’est pas possible d’être « Holiness » sans être la réincarnation d’un grand gus d’avant... Et qu’on ne peut pas non plus être Rimpoché si ce n’est pas le cas!... Donc tout est lié et une info entraîne aussi les autres dans le même train.

Alors, voilà les dernières infos si vous n’aviez pas encore mis en service votre Intelligence Intuitive qui comprend dans les vides entre les mots.

 

Alors je vous disais que je me pointe à la carrée du Rimpoché. Ces mecs, ils ne sont jamais seuls. Toujours une ribambelle de mectons autour à lui lécher les orteils, histoire de récupérer un peu de sa Force et de sa Connaissance transcendantale et ainsi avoir un turbo pour rejoindre le Bouddha.

 

Alors je dis direct au Rimpoché que j’ai besoin d’un peu d’air pour travailler avec lui, ce qu’il comprend aussi direct en envoyant les moines valser dans le corridor.

- Que fait-on ? demande-t-il.

- Je vérifie ton niveau d’énergie et je te charge... En premier lieu, ce soir, je fais.

- Comment dois-je me positionner ?

- Tu restes ainsi, tonton... Je fais... c’est moi qui bosse ce soir!

 

Il se laisse faire et me regarde avec ces yeux curieux que je connais bien… Ce sont ceux de celui qui me rencontre la première fois et qui se demande si je suis un intelligent qui cache son jeu sous la connerie... ou si je suis vraiment con.

- Mon ami m’avait bien prévenu de tes manières, sourit-il, mais je dois dire que je suis tout de même un peu surpris de l’ampleur de ton mépris pour les convenances, rigola-t-il en me laissant ses mains.

 

Comme je ne réponds jamais à ce genre de commentaires oiseux qui ne sont là que pour faire perdre le temps et l’énergie du moment qui passe, il se rappelle à mon bon souvenir, histoire où des fois je l’aurais oublié.

- Que fais-tu ?

- Je te teste par les pouces, je fais...

- C’est-à-dire ?

- Je t’envoie la purée par un pouce et je récupère dans l’autre.

- Et ensuite ?

- Ensuite ?... C’est à mon système énergétique perso de comprendre pourquoi il y a une différence entre injection et récupération, je fais, histoire de meubler le temps.

- Donc le résultat du diagnostic sera dépendant de celui qui le fait, dit-il en mec qui comprend vite.

- Exact, je fais... C’est « Pourquoi » c’est moi que le Roshi a mis sur ta trace, je fais.

- Mon vieil ami m’a aussi prévenu de ton manque certain d’humilité, dit-il en souriant.

- Cela m’évite de faire le péché de fausse humilité, je fais, pas du tout démonté par ce type d’argumentation que je connais sur le bout des doigts. L’homme est l’homme et partout ce sont les mêmes litanies insipides qu’ils continuent à croire comme expressions sublimes de leur intelligence détraquée.

 

Il laisse un moment passer car il est fin, le Rimpo... Il a perçu qu’il est entré dans des mots inutiles entre hommes de Dieu.

Il revient donc à plus d’essentiel.

- Mais pourquoi tu dis « sur ma trace » ?

- Parce que je dois te suivre « à la trace » et ne plus la quitter... si je veux savoir « qui » tu es... et « où » tu es, je fais sans rigoler.

 

Là, il comprend que je suis sérieux et ses yeux changent. Il doit aussi sentir ma Force qui passe en lui, et en connaisseur de l’Énergie Fondamentale, il doit commencer à se poser des questions sur le gus à côté de lui qui lui tient ses pouces.

D’ailleurs il me pose une question pas conne:

- Comment je dois t’appeler ?

- Comme tu veux, je fais en rigolant.

Il reste un moment en silence et il continue:

- Mon ami le Roshi m’a dit que si je disais « mon fils »... tu m’enverrais une châtaigne en pleine poire et que là, le formulaire dont tu parlais cet après-midi serait vite rempli...

- Tiens! Le vieux ridé pas beau que vous avez comme ami me connaît un petit peu... alors ?

- Alors, si je te dis « mon ami », est-ce que cela te convient ?

- Je ne suis pas certain d’être l’ami de quelqu’un et encore moins son copain, dis-je, rêveur... Je ne suis copain qu’avec Dieu.

 

Il comprend vite le mec.

- Il est donc très dangereux d’être ton ami, n’est-ce-pas ?

- Exact je fais... Je poque sec les menteurs et les incapables.

- Qui aime bien, châtie bien, dit-il.

- Arrête tes conneries ou je te fais sauter tes dernières ratiches, je fais en plissant les yeux.

 

Il préfère se taire et moi aussi. J’aime les bouches lorsqu’elles sont fermées... Du moins celles des mecs!

Mais il se laisse faire et ne produit aucun obstacle à ma pénétration.

Je suis étonné de la rapidité du transfert d’énergie. Ces gus, ce ne sont vraiment pas du « n’importe quoi » en énergie fondamentale!

Je le lui dis... Vous savez comment je suis honnête en toutes circonstances...

Alors il sourit finement dans sa moustache qu’il n’a pas. Chez eux, on est rasé de frais.

- Nous ne sommes pas complètement des « Inutiles » sur cette Terre des Hommes comme certains voudraient le faire croire.

 

Il est content de sa formule et je le laisse avec. Il a du travail sur la planche cette nuit à digérer la purée que je lui envoie.

Il a parfois du mouillé qui vient dans ses yeux.

- Toi!... Qui es-tu donc pour me remuer si profond... et que je perçois en moi la Lumière de Gourou Rimpoché ?

- C’est mon copain, je fais.

 

Tiens!... Il y a maintenant de la peur qui bouge son corps énergétique... Mes derniers mots ont mis en branle tout un mécanisme de recul et je sens qu’il tente de diriger mon énergie en lui... Plus aussi confiant, il est!... Il est en train de se rendre compte que nous sommes dans un jeu mortel et que je suis un tueur confirmé. Aurait-il quelque chose d’essentiel à cacher, le cher homme ?

Peut-être il n’est pas aussi honnête que le dit le vieux, qui voudrait me servir de père.

 

Il y a le vent qui se lève et je l’écoute dans mes os qui frémissent.

 

 

 

******************